Des millions de vues vues sur YouTube. Une phrase lâchée dans un morceau de drill. Et soudain, les tribunaux d'Abidjan et de Paris entrent en scène.
Le 7 novembre 2025, Himra balance "Yorobo Drill Acte 4" sur YouTube. Le morceau cartonne. Les fans kiffent. Le Chetté règne sur le drill ivoirien. Mais dans les paroles, il y a cette ligne. Cette petite phrase qui va tout faire basculer : "Moi je suis pédé ? Demandez à David Monsoh, dès qu'il m'a envoyé coucou je l'ai bloqué."
Trois jours plus tard, le 10 novembre 2025, David Monsoh – producteur légendaire qui a fait Koffi Olomidé, Fally Ipupa, DJ Arafat – dépose plainte. Pas une, mais deux plaintes. Une en Côte d'Ivoire. Une autre en préparation en France. Chef d'accusation : diffamation publique.
Quand le drill rencontre le droit pénal
Le clash, c'est le sang du rap. Les punchlines assassines, les sous-entendus venimeux, les règlements de compte en 16 mesures. Ça fait partie du jeu. Mais où se situe la frontière entre l'art et la diffamation ? Entre la liberté d'expression et l'atteinte à l'honneur ?
David Monsoh, par l'intermédiaire de ses avocats, a décidé de répondre à cette question devant le Tribunal de Première Instance d'Abidjan Plateau. Le message est clair : il y a des lignes à ne pas franchir.
Pour l'avocat du producteur, les paroles d'Himra constituent une "imputation diffamatoire" relative à l'orientation sexuelle présumée de son client. Dans un pays où l'homosexualité reste un tabou et est fortement stigmatisée, de telles allégations, accessibles à un public large via les plateformes numériques, portent directement atteinte à M. Monsoh en le citant nommément.
Le document juridique ne mâche pas ses mots. Il qualifie les propos d'"injurieux, diffamatoires et homophobes".
Le préjudice dans un contexte social explosif
Parlons cash : en Côte d'Ivoire, comme dans la majorité des pays africains, l'homosexualité n'est pas juste mal vue. Elle est criminalisée dans certains pays voisins, violemment rejetée socialement, et peut détruire une vie, une carrière, une famille en quelques heures.
Dans ce contexte, accuser quelqu'un publiquement – même par insinuation – d'être homosexuel, ce n'est pas anodin. C'est potentiellement dévastateur.
La plainte argue justement que dans le contexte social ivoirien, où l'homosexualité reste un tabou et est fortement stigmatisée, de telles allégations sont susceptibles de porter une "atteinte grave" à la réputation et à l'image sociale et professionnelle de David Monsoh.
On ne parle pas juste d'ego froissé. On parle de réputation professionnelle. De crédibilité dans l'industrie. De relations familiales. D'image publique construite sur des décennies.
David Monsoh n'est pas n'importe qui. C'est un pilier de l'industrie musicale africaine. Le producteur qui a transformé des talents en légendes. Un homme d'affaires respecté. Un père de famille. Et soudain, à cause d'une phrase dans un morceau de drill, il doit se défendre publiquement contre des insinuations sur sa vie privée.
"Appeler à la responsabilité" : La vraie intention de Monsoh
Mais attention. Selon une source proche du dossier, l'objectif de David Monsoh n'est pas de voir l'artiste Himra incarcéré, mais d'appeler à la responsabilité.
Nuance importante. Crucial, même.
Monsoh ne cherche pas la vengeance. Il ne veut pas faire tomber la star montante du rap ivoirien. Il veut poser un principe : on ne peut pas tout dire. On ne peut pas salir n'importe qui sans conséquences.
La même source précise que le producteur, décrit comme "père de famille modèle", n'est pas concerné par les "clashs et règlements de compte entre artistes". Elle ajoute que David Monsoh n'entretient "aucune collaboration, aucun contrat" avec Himra, et qu'il n'existe aucune relation professionnelle entre eux, rendant selon lui ces propos encore plus injustifiés.
Pas de beef professionnel. Pas de contrat rompu. Pas de rivalité d'affaires. Juste un nom balancé dans un morceau. Gratuitement. Publiquement. Devant des millions de personnes.
La dimension juridique : Cybercriminalité et Code pénal
Les conseils de David Monsoh ne jouent pas. Ils invoquent deux armes légales lourdes :
1. La loi ivoirienne relative à la lutte contre la cybercriminalité, qui réprime les expressions outrageantes diffusées via un système d'information.
2. Les dispositions du Code pénal en matière de diffamation.
YouTube, c'est le nouveau terrain de jeu du rap. Mais c'est aussi un système d'information au sens juridique. Et la diffamation, qu'elle soit criée dans la rue ou streamée sur une plateforme, reste de la diffamation.
Himra pourrait plaider la liberté artistique. Le clash comme tradition du hip-hop. La fiction lyrique. Mais le droit ivoirien est formel : nommer quelqu'un explicitement et porter atteinte à son honneur, c'est franchir la ligne rouge.
L'affaire dépasse les frontières : L'Europe s'en mêle
Et voilà que le plot twist arrive. L'affaire commence à susciter un intérêt au-delà de la Côte d'Ivoire.
Des associations européennes de défense des droits liés aux questions de genre et aux personnes LGBTQ+ voient dans cette plainte un potentiel de lutte contre l'homophobie dans l'espace francophone.
Attendez. Relisez bien cette phrase.
Les défenseurs des droits LGBTQ+ soutiennent... David Monsoh ? L'homme qui poursuit Himra pour avoir insinué qu'il serait gay ?
Le paradoxe est fascinant. Et il dit beaucoup de choses.
Car ces associations ne défendent pas nécessairement Monsoh personnellement. Elles s'attaquent à un système où traiter quelqu'un d'homosexuel est utilisé comme une insulte, comme une arme, comme un moyen de détruire une réputation.
C'est l'homophobie structurelle qu'elles combattent. Pas Himra en tant qu'individu. Mais l'idée qu'on puisse utiliser l'orientation sexuelle – réelle ou présumée – comme un argument de clash.
Ainsi, la YouTubeuse Roselyne Layo fait déjà face à des interrogatoires depuis l'Europe. De plus, une autre plainte serait en train d'être déposée en France par David Monsoh.
L'affaire devient internationale. Les tribunaux français pourraient bientôt se prononcer. Et Himra, lui, est en ce moment à Dubai.
Les questions qui fâchent
Cette affaire soulève des interrogations vertigineuses sur l'état du rap africain, la liberté d'expression et les normes sociales.
Question 1 : Où commence et où finit le clash ?
Le rap a toujours été violent verbalement. Tupac contre Biggie. Jay-Z contre Nas. Booba contre tout le monde. Les punchlines assassines font partie de l'ADN du genre. Mais citer nommément quelqu'un qui n'est même pas dans l'industrie du rap, est-ce encore du clash ? Ou juste de la diffamation pure et simple ?
Question 2 : Pourquoi l'homophobie est-elle acceptée comme arme de clash ?
Soyons honnêtes : dans le rap africain (et mondial), traiter un adversaire de "pédé" est monnaie courante. C'est l'insulte facile. L'arme fatale. Mais pourquoi ? Pourquoi l'orientation sexuelle est-elle vue comme une faiblesse, une honte, une tare ?
Cette affaire force à regarder en face l'homophobie banalisée dans la culture hip-hop africaine. Et ça dérange. Parce que ça oblige à se demander : est-ce qu'on peut vraiment prétendre défendre la liberté et la créativité tout en utilisant l'homophobie comme outil de destruction ?
Question 3 : David Monsoh a-t-il raison de porter plainte ?
Opinion divisée. Certains diront qu'il exagère, que c'est juste du rap, qu'il faut avoir la peau dure dans le showbiz. D'autres applaudiront sa démarche, y voyant enfin une limite posée aux excès du clash.
Mais une chose est certaine : en 2025, on ne peut plus balancer n'importe quoi sans conséquences. Internet n'oublie rien. Les paroles restent. Et les tribunaux existent pour une raison.
Question 4 : Himra mesure-t-il l'impact de ses paroles ?
À 26 ans, Himra est la nouvelle sensation du drill ivoirien. Disque de diamant. Nominations aux AFRIMA. Succès continental. Mais avec la gloire viennent les responsabilités.
On ne peut pas être une icône pour des millions de jeunes et utiliser l'homophobie comme punchline. On ne peut pas salir publiquement quelqu'un qui ne vous a rien fait et espérer que ça passe sans vagues.
Le Chetté est actuellement à Dubai. Loin des tribunaux d'Abidjan. Mais la justice a des bras longs. Et l'affaire, elle, ne fait que commencer.
Ce que cette affaire dit de nous
Au-delà du cas Himra-Monsoh, c'est toute une société qui est interrogée.
Sur l'homophobie : Pourquoi est-ce encore acceptable d'utiliser l'homosexualité comme insulte en 2025 ? Combien de vies ont été détruites par des accusations publiques ? Combien de jeunes se suicident parce qu'ils sont traités de "pédé" par leurs pairs ?
Sur le rap : Le clash est-il vraiment de l'art quand il repose sur la destruction gratuite de personnes qui ne sont même pas dans le game ? Où est la créativité dans l'homophobie ?
Sur la justice : Est-ce que porter plainte pour diffamation, c'est censurer l'art ? Ou c'est simplement rappeler qu'il y a des règles, même dans la jungle du showbiz ?
Sur la responsabilité des artistes : Quand on a 1,5 million d'auditeurs mensuels sur Spotify, quand on influence toute une génération, a-t-on le droit de balancer n'importe quoi ? Ou a-t-on le devoir d'être plus conscient de l'impact de nos mots ?