À quelques jours de la présidentielle d'octobre 2025, tous les candidats promettent la même chose : transformer la Côte d'Ivoire en pays industrialisé. Mais que se cache-t-il vraiment derrière ces discours ?
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Quand cinq candidats parlent le même langage
Dans cette campagne présidentielle, un constat frappe : qu'il s'agisse d'Alassane Ouattara, de Simone Ehivet Gbagbo, de Jean-Louis Billon, d'Henriette Lagou Adjoua ou d'Ahoua Don Mello, tous brandissent le même étendard : l'industrialisation de la Côte d'Ivoire. C'est presque devenu le mot magique de cette élection du 25 octobre 2025.
Le président sortant Alassane Ouattara a fait de "l'Industrialisation et Promotion de l'Investissement Privé" l'un des piliers de son programme. Simone Ehivet Gbagbo prône une "industrialisation progressive et inclusive". Jean-Louis Billon rêve d'une Côte d'Ivoire qui transforme son cacao localement. Ahoua Don Mello dénonce la captation des richesses par les intermédiaires étrangers et veut rapatrier la valeur ajoutée au pays.
Bref, tout le monde est d'accord. Mais est-ce vraiment faisable ?
Le paradoxe du cacao : premier producteur mondial, mais...
Voici un chiffre qui fait mal : la Côte d'Ivoire produit plus de 40% du cacao mondial, mais n'en transforme que 33% sur place. Le reste ? Exporté en fèves vers l'Europe et ailleurs, où d'autres empochent les marges les plus juteuses en fabriquant chocolats et produits dérivés.
C'est un peu comme si vous cultiviez les meilleurs oranges du monde, mais que vous les vendiez brutes pendant que vos voisins font fortune en vendant du jus d'orange, des confitures et des pâtisseries.
La bonne nouvelle ? Passer de 33% à 50% de transformation locale d'ici 2030 est tout à fait réalisable. Des infrastructures existent déjà, et avec les bons investissements, ce taux peut grimper rapidement.
L'anacarde et le coton : les pépites cachées
Si le cacao fait les gros titres, d'autres filières regorgent de potentiel. Prenez l'anacarde (noix de cajou) : actuellement, seulement 10% de la production est transformée localement. Mais des usines sortent de terre à Brobo, Yamoussoukro et Bondoukou, avec une capacité de 300 000 tonnes par an. L'objectif de 30 à 40% de transformation d'ici 2030 est ambitieux, mais réaliste.
Pour le coton, l'ambition est claire : transformer 50% de la production localement d'ici 2030. Cela signifie créer une véritable industrie textile ivoirienne, avec tout ce que cela implique : usines, emplois, savoir-faire.
Le plan qui pourrait tout changer
Le Plan National de Développement Industriel 2023-2030 ne fait pas dans la demi-mesure. Les chiffres donnent le vertige : porter la contribution de l'industrie au PIB de 21% à 30%, mobiliser 6 000 milliards de francs CFA d'investissements, créer 350 000 emplois d'ici 2030.
Sur le papier, c'est impressionnant. Dans les faits, 100 000 emplois devraient déjà être créés d'ici fin 2025. C'est un premier test grandeur nature.
Mais alors, pourquoi ça coince ?
Parce que l'industrialisation de la Côte d'Ivoire, c'est complexe. Trois obstacles majeurs se dressent :
- Le financement : Transformer des matières premières nécessite des usines, des machines, de la technologie. Tout cela coûte cher, très cher. Les banques locales hésitent souvent à prêter pour des projets industriels jugés risqués.
- Le manque de compétences : Construire des usines, c'est bien. Mais qui va les faire tourner ? La formation technique est insuffisante, et beaucoup de producteurs vieillissent sans que la relève soit assurée.
- L'environnement des affaires : Bureaucratie lente, corruption, infrastructures énergétiques insuffisantes... Autant de grains de sable dans la machine industrielle.
Ce qui peut vraiment marcher d'ici 2030
Soyons réalistes. Transformer la Côte d'Ivoire en nouvelle puissance industrielle africaine en cinq ans ? C'est peu probable. Mais accomplir des progrès significatifs ? Absolument.
Voici ce qui est à portée de main :
- Doubler la transformation du cacao : de 33% à 60-65%, en attirant plus d'investisseurs dans la chocolaterie et les produits dérivés
- Développer l'anacarde : créer une industrie de la noix de cajou grillée et transformée, pour capter la valeur ajoutée
- Lancer le textile : utiliser le coton local pour créer une industrie textile régionale compétitive
- Créer des pôles agro-industriels : rassembler production, transformation et logistique dans des zones dédiées
Le verdict : réaliste, mais...
L'industrialisation de la Côte d'Ivoire entre 2025 et 2030 n'est pas un rêve inaccessible. C'est un objectif réaliste, à condition de ne pas se contenter de discours. Il faudra :
- Des investissements massifs et bien ciblés
- Une vraie politique de formation professionnelle
- Une simplification de l'environnement des affaires
- Une volonté politique constante, au-delà des alternances
Le prochain président, quel qu'il soit, héritera d'une base solide : un plan existe, des projets sont en cours, la volonté politique semble réelle. La vraie question n'est plus "est-ce possible ?" mais "aurons-nous la patience et la détermination pour aller jusqu'au bout ?"
Car l'industrialisation de la Côte d'Ivoire n'est pas un sprint électoral. C'est un marathon qui engage toute une nation.
La Côte d'Ivoire a tous les atouts en main : des matières premières abondantes, une position géographique stratégique, une économie dynamique. Reste à transformer l'essai. Rendez-vous en 2030 pour le bilan.