En République démocratique du Congo, l'affaire Constant Mutamba, ministre de la Justice, secoue le
paysage politique et judiciaire du pays. Accusé de détournement de fonds publics dans un marché de
construction de prison, le garde des Sceaux voit son immunité levée par l'Assemblée nationale et
annonce finalement sa démission. Voici 10 questions essentielles pour comprendre cette affaire qui
illustre les défis de la lutte contre la corruption au plus haut niveau de l'État.
1. Qui est Constant Mutamba et quel est son parcours ?
Constant Mutamba est le ministre de la Justice et garde des Sceaux de la République démocratique du
Congo. Nommé en mai 2024 dans le gouvernement dirigé par la Première ministre Judith Suminwa
Tuluka, il avait pour mission de réformer un système judiciaire considéré comme défaillant. Sa
nomination s'inscrivait dans la volonté du président Félix Tshisekedi de renforcer l'État de droit et de
lutter contre l'impunité.
Ironie du sort, celui qui était chargé de restaurer la crédibilité de la justice congolaise se retrouve
aujourd'hui dans le viseur de cette même justice, après seulement une année d'exercice de ses
fonctions.
2. Quelle est la genèse de cette affaire ?
L'affaire trouve ses racines dans un ambitieux programme de réhabilitation du système pénitentiaire congolais lancé par le gouvernement. Dans le cadre de ce programme, le ministère de la Justice a initié
plusieurs projets de construction et de rénovation de prisons à travers le pays, dont celui de la prison
de Kisangani.
C'est lors de l'attribution de ce marché que les premières irrégularités auraient été commises. Selon
les enquêteurs, le contrat aurait été attribué de gré à gré, sans respecter les procédures classiques
d'appel d'offres public. Cette méthode d'attribution, bien que légale dans certaines circonstances,
soulève des questions sur la transparence du processus et les motivations ayant présidé à ce choix.
L'affaire a éclaté au grand jour lorsque des organes de contrôle ont découvert des anomalies dans
l'exécution du contrat et dans la gestion des fonds alloués au projet. Ces découvertes ont déclenché
une enquête approfondie qui a conduit aux accusations actuelles contre le ministre.
La situation est d'autant plus embarrassante que ce projet s'inscrivait dans une démarche de
modernisation du système judiciaire et pénitentiaire, présentée comme une priorité du gouvernement
Tshisekedi dans sa lutte contre les violations des droits humains dans les prisons congolaises.
3. De quoi est-il exactement accusé ?
Constant Mutamba est accusé de détournement de fonds dans un projet de construction de prison, avec des montants variant selon les sources entre 19 et 39 millions de dollars. Plus spécifiquement, il
est poursuivi pour un présumé détournement de 19 millions de dollars dans le cadre d'un contrat de
gré à gré pour la construction de la prison de Kisangani.
Le marché, conclu sans contrôle approprié, suscite des soupçons de malversations financières. Cette
affaire s'inscrit dans un contexte plus large de réforme du système pénitentiaire congolais, où les
conditions de détention sont souvent déplorables et nécessitent des investissements considérables.
4. Comment la procédure judiciaire a-t-elle été engagée ?
La procédure suit le processus constitutionnel prévu pour les hauts responsables de l'État. Le 21 mai
2025, le président de l'Assemblée nationale, Vital Kamerhe, a annoncé aux élus qu'il avait été saisi par
le procureur général près la Cour de cassation afin de procéder à la levée des immunités de Constant
Mutamba.
La Cour de cassation a demandé à l'Assemblée nationale d'autoriser les poursuites à l'encontre du
ministre, mis en cause dans cette affaire de détournement de fonds. Cette démarche respecte la
procédure démocratique qui veut que les ministres, protégés par leur immunité parlementaire, ne
puissent être poursuivis qu'après autorisation du Parlement.
4. Quelle a été la réaction de l'Assemblée nationale ?
L'Assemblée nationale de la RDC a tranché en faveur des poursuites contre le ministre. Son immunité a
été levée dans la nuit du dimanche 15 juin 2025. Sur les 363 députés présents, 329 ont voté en faveur
des poursuites contre lui.
Ce vote massif (90,6% des voix) témoigne de la gravité des accusations portées contre le ministre et
de la volonté des parlementaires de ne pas faire obstacle à la justice. Il s'agit d'un signal fort dans un
pays où l'impunité des dirigeants a longtemps été la règle.
5. Comment le ministre a-t-il réagi aux accusations ?
Constant Mutamba, qui rejette les accusations, dénonce une "cabale politique" et avait tenté en vain
de récuser le procureur général en charge du dossier. Cette stratégie de défense, classique dans ce
type d'affaire, consiste à présenter les poursuites comme étant motivées par des considérations
politiques plutôt que judiciaires.
Le ministre a tenté plusieurs manœuvres procédurales pour échapper aux poursuites, notamment en
contestant la légitimité du procureur chargé de l'affaire, mais ces tentatives se sont soldées par des
échecs.
6. Quelles sont les conséquences immédiates pour le ministre ?
Les conséquences sont multiples et immédiates. Le garde des sceaux est empêché par la justice de
bouger de Kinshasa, ce qui constitue une mesure d'interdiction de sortie du territoire. Cette restriction
de liberté de mouvement vise à s'assurer que le ministre reste à disposition de la justice pendant
l'instruction de l'affaire.
De plus, le ministre Constant Mutamba a présenté sa démission mardi 17 juin pour comparaître dans
cette affaire de détournement de fonds publics, démission qui a été acceptée dans la foulée par le
président Félix Tshisekedi.
7. Pourquoi cette démission était-elle inévitable ?
Le procureur général a engagé des poursuites contre le ministre de la Justice avec le soutien de
l'Assemblée nationale qui a levé l'immunité de ce dernier. Dans ce contexte, maintenir ses fonctions
ministérielles tout en étant poursuivi pour corruption aurait créé une situation intenable, tant
juridiquement que politiquement.
La démission permet au ministre de se consacrer pleinement à sa défense tout en évitant au
gouvernement l'embarras d'avoir un ministre de la Justice sous le coup de poursuites pénales. Cette
situation aurait en effet créé un paradoxe institutionnel majeur.
8. Quelle est la portée symbolique de cette affaire ?
Cette affaire revêt une dimension symbolique considérable. Nommé en mai 2024 pour réformer une justice "malade", Constant Mutamba devient aujourd'hui lui-même prisonnier du système. L'ironie est
saisissante : celui qui était chargé de moraliser la justice se retrouve accusé de corruption.
Cependant, cette affaire peut aussi être perçue positivement comme la preuve que l'État de droit
progresse en RDC, puisque même un ministre de la Justice n'échappe pas aux poursuites judiciaires
lorsqu'il est soupçonné de malversations.
9. Quels sont les enjeux pour la justice congolaise ?
Cette affaire constitue un test majeur pour la crédibilité du système judiciaire congolais. Elle démontre
que la justice peut désormais s'attaquer aux plus hauts responsables de l'État, ce qui représente un
progrès significatif dans la lutte contre l'impunité.
Son cas pourrait désormais être porté devant la Cour de cassation. Cette affaire marque un nouveau
jalon dans la campagne nationale de lutte contre la corruption. Le traitement de ce dossier sera scruté
de près, tant par la population congolaise que par la communauté internationale.
10. Quelles perspectives pour l'avenir ?
Plusieurs scénarios s'ouvrent désormais. Constant Mutamba va devoir faire face aux magistrats dans
le cadre d'une procédure judiciaire qui pourrait durer plusieurs mois, voire plusieurs années selon la
complexité du dossier.
Pour le gouvernement, il s'agit maintenant de nommer un nouveau ministre de la Justice capable de
restaurer la crédibilité de l'institution et de poursuivre les réformes engagées. Cette nomination sera
scrutée de près, car elle devra envoyer un signal fort sur l'engagement du gouvernement dans la lutte
contre la corruption.
Au niveau institutionnel, cette affaire pourrait renforcer les mécanismes de contrôle et de transparence
dans la passation des marchés publics, secteur particulièrement exposé à la corruption en RDC.
Conclusion : Un tournant pour l'État de droit en RDC ?
L'affaire Constant Mutamba marque potentiellement un tournant dans l'histoire judiciaire de la
République démocratique du Congo. Pour la première fois depuis longtemps, un ministre de la Justice
en exercice voit son immunité levée et fait l'objet de poursuites pénales pour des actes présumés de
corruption.
Cette situation, bien qu'embarrassante pour le gouvernement, témoigne d'une certaine maturité des
institutions démocratiques congolaises. Elle démontre que les mécanismes de contrôle parlementaire
et judiciaire peuvent fonctionner, même lorsqu'ils visent les plus hauts responsables de l'État.
L'issue de cette affaire sera déterminante pour l'avenir de la lutte contre la corruption en RDC. Si la justice parvient à mener ce dossier jusqu'à son terme de manière transparente et équitable, cela
pourrait contribuer à restaurer la confiance des citoyens dans leurs institutions et envoyer un message
dissuasif à tous ceux qui seraient tentés par la malversation.
Inversement, si cette affaire s'enlise ou se solde par un non-lieu suspect, cela risquerait de renforcer le
sentiment d'impunité et de saper les efforts de réforme entrepris depuis l'arrivée au pouvoir de Félix
Tshisekedi.
Dans tous les cas, cette affaire restera comme un moment charnière qui aura testé la solidité des
institutions congolaises et leur capacité à faire respecter l'État de droit, y compris au sommet de l'État