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Côte d’Ivoire : comment Laurent Gbagbo a t'il pu échouer à collecter ses parrainages ?

Publié le 09 septembre 2025Politique0 vues
Côte d’Ivoire : comment Laurent Gbagbo a t'il pu échouer à collecter ses parrainages ?

Le 8 septembre 2025, le Conseil constitutionnel de Côte d'Ivoire a prononcé l'invalidation de la candidature de Laurent Gbagbo à la présidentielle du 25 octobre. Cette décision, qui écarte l'ancien président pour "inéligibilité et défaut de parrainages conformes", illustre parfaitement comment le système électoral ivoirien peut neutraliser des figures politiques majeures. Analyse des mécanismes juridiques et techniques qui ont conduit à cette exclusion retentissante.

1) Ce que dit le droit, précisément

Depuis la réforme du Code électoral de 2020, tout candidat à l'élection présidentielle doit franchir l'obstacle du parrainage citoyen. Les exigences sont strictes et géographiquement contraignantes :

  • 1% des électeurs inscrits dans chaque zone de collecte
  • Dans au moins 17 zones sur 33 (soit plus de 50% des régions et districts autonomes)
  • Un électeur ne peut parrainer qu'un seul candidat par scrutin
  • Validation stricte : tout doublon, parrain hors zone ou identité non concordante invalide la signature

L'ordonnance du 7 mai 2025 a précisé que le calcul se fait sur les 31 régions historiques plus les 2 districts autonomes (Abidjan et Yamoussoukro), excluant les nouveaux districts créés en 2021. Cette clarification a durci les conditions de collecte pour certaines candidatures.

Exemple concret : Dans la région du Béré, un candidat devait réunir exactement 1 225 signatures valides, correspondant à 1% des 122 505 électeurs inscrits dans cette zone. Multiplié par 17 zones minimum, l'exercice devient un véritable défi logistique.

2) Ce qu'a tranché le Conseil constitutionnel

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Le 8 septembre 2025, l'institution a rendu son verdict sans appel : seules cinq candidatures sont validées pour le scrutin du 25 octobre 2025. Parmi les exclus de marque figurent Laurent Gbagbo et Tidjane Thiam, deux poids lourds de la politique ivoirienne.

Pour Laurent Gbagbo, le Conseil constitutionnel invoque deux motifs cumulatifs :

  • Inéligibilité en raison de ses antécédents judiciaires
  • Défaut de parrainages conformes découlant de sa radiation de la liste électorale

Cette double disqualification transforme l'ancien président en candidat juridiquement impossible, même avec un soutien populaire intact.

3) Comment un ex-président peut-il rater ce filtre ? Les mécanismes concrets

Le piège géographique

Le système de parrainage ne fonctionne pas sur un quota national global, mais sur une logique territoriale exigeante. Une base militante concentrée géographiquement, même massive, ne suffit pas. Il faut démontrer une implantation équilibrée sur au moins 17 zones, ce qui peut piéger des leaders à assise régionale forte mais inégalement répartie.

L'effet "purge technique"

Les contrôles de la Commission Électorale Indépendante (CEI) appliquent des critères stricts :

  • Élimination des doublons automatique
  • Vérification des identités avec le fichier électoral
  • Validation de la concordance entre zone de parrainage et résidence du signataire
  • Exclusion des électeurs radiés ou mal réinscrits

Dans certaines régions, ces purges peuvent faire chuter drastiquement le nombre de signatures valides, faisant passer un dossier sous le seuil légal.

Le cercle vicieux juridique de Gbagbo

Le cas Laurent Gbagbo illustre un piège juridique parfait :

  1. Condamnation en 2018 à 20 ans de prison et 10 ans de privation de droits civiques
  2. Radiation automatique de la liste électorale
  3. Impossibilité de parrainer (un radié ne peut soutenir une candidature)
  4. Inéligibilité constitutionnelle confirmée par les juridictions

Même réhabilité politiquement, Gbagbo reste pris dans ce cercle vicieux légal que ni la Cour africaine des droits de l'homme (26 juin 2025) ni l'ONU n'ont pu briser.

L'effet "révision 2025"

La révision du Code électoral en mai 2025 a resserré l'interprétation des zones prises en compte. Les équipes qui avaient anticipé en collectant dans des districts non éligibles ont vu ces signatures écartées, créant un "effet surprise" pour certaines candidatures.

4) Un verrou institutionnel ou politique ?

Le parrainage citoyen est officiellement présenté comme un outil de démocratisation et de filtrage qualitatif. Dans la pratique, son calibrage en fait un verrou institutionnel majeur qui peut écarter des figures très populaires pour des raisons purement techniques ou juridiques.

Arguments des autorités :

  • Garantir une assise nationale minimale
  • Éviter les candidatures de témoignage
  • Professionnaliser la course présidentielle

Critique de l'opposition :

  • Filtre excessivement restrictif
  • Avantage aux partis disposant d'un appareil territorial fort
  • Risque d'instrumentalisation politique

Le système crée une asymétrie entre popularité réelle et éligibilité technique, comme le démontre l'exclusion de Gbagbo malgré son audience persistante.

5) Stratégies de contournement et perspectives

Face à l'irréversibilité des décisions du Conseil constitutionnel, l'opposition dispose de marges politiques limitées :

Stratégies immédiates

  • Agrégation des forces autour des candidats éligibles (Simone Gbagbo, Jean-Louis Billon, Don Mello)
  • Campagne de légitimité contre le "filtre excessif"
  • Mobilisation internationale via les observateurs électoraux

Enjeux à long terme

  • Réforme du système de parrainage après l'élection
  • Révision du Code électoral pour 2030
  • Réconciliation nationale incluant la question des droits civiques

6) Les leçons du "cas Gbagbo"

L'exclusion de Laurent Gbagbo révèle plusieurs réalités du système électoral ivoirien :

La primauté du droit sur la popularité : Aucun charisme ne peut compenser une inéligibilité juridique claire.

L'importance de l'organisation territoriale : Dans un système fédéralisé de parrainage, l'implantation géographique compte plus que le poids électoral global.

La technicité croissante des élections : Les partis doivent désormais maîtriser des compétences logistiques et juridiques sophistiquées pour franchir les filtres institutionnels.

En bref

L'éviction de Laurent Gbagbo pour "défaut de parrainages" n'est qu'en apparence technique. Elle révèle en réalité le fonctionnement d'un système électoral où la conformité juridique prime sur la légitimité populaire.

Dans cette logique, un ancien président peut effectivement échouer s'il ne coche pas tous les critères techniques, géographiques et légaux requis. Le parrainage citoyen, loin d'être un simple filtre démocratique, devient un outil de recomposition politique qui redéfinit les équilibres de pouvoir en Côte d'Ivoire.

Reste à savoir si cette approche renforcera la légitimité des institutions ou alimentera les contestations sur l'équité du processus électoral ivoirien.

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