Dans la course présidentielle ivoirienne de 2025, le programme MGC 2025 de Simone Ehivet Gbagbo se distingue par son ambition sociale affichée et son épaisseur : sept engagements, des dizaines de projets, des centaines d'actions. À première vue, c'est le programme le plus "complet", le plus "social", le plus attentif aux vulnérables. Mais derrière cette générosité apparente se cache un piège mortel : l'absence totale de réalisme économique et une inquiétante tentation d'embrigadement idéologique.
Décortiquons ce programme qui promet de "transformer le citoyen" et de porter l'industrie à 30% du PIB en cinq ans, sans jamais dire combien ça coûte ni où trouver l'argent.
Voir aussi : présidentielle 2025 en Côte d'Ivoire
Failles structurelles majeures
1. Absence totale de chiffrage global et de calendrier
Le programme liste des centaines d'actions réparties sur 7 engagements sans aucun chiffrage global ni calendrier de mise en œuvre :
- Construire 18 000 classes en 5 ans (3 600/an)
- Former 5 000 agents de santé par an
- Construire 150 000 logements sociaux
- Investir 1 200 milliards dans les industries vertes
- Reboiser 6 millions d'hectares d'ici 2040
- Consacrer 1% du PIB à la recherche
Coût total estimé ? Plusieurs dizaines de milliers de milliards. Source de financement ? Mystère total.

L'éducation : Construire 3 600 classes par an pendant 5 ans avec des effectifs limités à 30-40 élèves nécessite :
- Des milliers d'enseignants supplémentaires (où les former ? combien coûtent leurs salaires ?)
- Des centaines de milliards d'investissement annuel
- Une capacité de construction que le pays n'a jamais atteinte
La recherche : "1% du PIB consacré à la recherche" représente environ 530 milliards FCFA/an. Actuellement, c'est moins de 0,3%. Tripler le budget recherche en quelques années sans dire d'où vient l'argent est fantaisiste.
Le reboisement : "6 millions d'hectares d'ici 2040" alors que la déforestation continue à 200-300 000 ha/an. C'est promettre de replanter 400 000 ha/an pendant 15 ans. Jamais réalisé, même avec des moyens considérables.
3. La contradiction entre moyens et ambitions
Le programme promet :
- L'éducation gratuite et de qualité pour tous
- La santé universelle gratuite (femmes enceintes, enfants 0-5 ans)
- 70 milliards FCFA/an pour équipements et médicaments
- Des logements sociaux à loyer modéré
- Des allocations pour chômeurs et personnes âgées
Mais avec quelles ressources ? Le budget national est de 15 000 milliards. Ces seules mesures sociales coûteraient plusieurs milliers de milliards supplémentaires.
Failles économiques
4. L'industrie à 30% du PIB en 5 ans : mathématiquement impossible
Le programme veut faire passer la part de l'industrie de 22% à 30% du PIB en 5 ans.
Réalité : Cela nécessiterait :
- Une croissance industrielle de 15-20% par an pendant 5 ans
- Des investissements de plusieurs milliers de milliards
- Des infrastructures (ports, routes, énergie, formation) qui n'existent pas
- Une main d'œuvre qualifiée (ingénieurs, techniciens) qui manque cruellement
Les pays qui ont réussi leur industrialisation (Corée du Sud, Chine, Vietnam) ont mis 20 à 30 ans, pas 5 ans.
5. Les "industries transfrontalières" : confusion conceptuelle
Le programme parle de "créer des industries transfrontalières (viande, fruits tropicaux, textile, engrais)" sans expliquer ce que cela signifie concrètement :
- Des usines à cheval sur plusieurs pays ? (irréaliste)
- Des chaînes de valeur régionales ? (nécessite coordination CEDEAO, inexistante)
- Des partenariats commerciaux ? (ce n'est pas de l'industrialisation)
6. Le fonds d'innovation de 1 200 milliards : d'où vient l'argent ?
Le programme prévoit 1 200 milliards FCFA pour les industries vertes et 200 milliards pour les cités durables, soit 1 400 milliards d'investissements "verts".
Question : Qui finance ? L'État (déjà endetté) ? Le secteur privé (pourquoi investirait-il sans rentabilité assurée ?) ? Les bailleurs internationaux (avec quelles conditionnalités ?) ?
7. La "politique douanière protectrice" : retour vers le passé
Le programme veut "une politique douanière protectrice" et "favoriser le made in Côte d'Ivoire".
Problème : Le protectionnisme douanier a échoué partout en Afrique (1960-1990). Il crée :
- Des industries non compétitives, dépendantes des subventions
- Une hausse des prix pour les consommateurs
- Des représailles commerciales des partenaires
- Une violation des engagements OMC et CEDEAO
Les économies émergentes qui ont réussi (Corée, Chine, Vietnam) ont d'abord exporté avant de protéger leur marché intérieur, et avec des stratégies sophistiquées, pas du simple protectionnisme tarifaire.
Failles sociales
8. Les 14 "valeurs cardinales" : moralisation autoritaire
Le programme insiste lourdement sur la "transformation du citoyen" par 14 valeurs cardinales (non listées dans le document) à enseigner dès le primaire, avec :
- Une "semaine nationale de l'éthique"
- Des "cellules d'éthique dans chaque ministère"
- Des "récompenses pour citoyens exemplaires"
- Un "système national d'évaluation de la paix"
Cela sent le paternalisme moral et l'embrigadement idéologique. Qui définit ces valeurs ? Le parti MGC ? Comment mesure-t-on "l'appropriation des valeurs" ? Quelles sanctions pour les "mauvais citoyens" ?
Précédents inquiétants : Les régimes autoritaires africains (Mobutu au Zaïre, Sékou Touré en Guinée) ont tenté de "transformer le citoyen". Résultat : endoctrinement, répression, échec total.
9. La gratuité universelle : promesse insoutenable
Le programme promet :
- Gratuité des soins pour femmes enceintes et enfants 0-5 ans
- CMU universelle
- Éducation gratuite pour tous
- Allocations pour chômeurs, personnes âgées sans pension
Coût estimé : Plusieurs milliers de milliards FCFA par an.
Financement ? Silence radio. Le programme ne propose aucune réforme fiscale majeure, aucun mécanisme de financement durable.
Résultat prévisible : Comme toutes les promesses de gratuité non financées, elles aboutissent à :
- Des services sous-financés et de mauvaise qualité
- Des ruptures de stock (médicaments, manuels scolaires)
- Un personnel démotivé et mal payé
- Un système qui s'effondre sous son poids
10. Le tourisme médical : délire de grandeur
Le programme veut faire de la Côte d'Ivoire un hub de tourisme médical avec :
- 10 centres médicaux spécialisés
- Certification internationale de 10 centres hospitaliers
- Télémédecine et IA dans le diagnostic
- Campagnes internationales
Réalité : Les hubs de tourisme médical (Thaïlande, Inde, Tunisie) ont mis des décennies à se construire avec :
- Des investissements massifs (plusieurs milliards de dollars)
- Une excellence médicale reconnue mondialement
- Des coûts 50-70% inférieurs aux pays occidentaux
- Une stabilité politique et sécuritaire
La Côte d'Ivoire, avec un système de santé fragile, un médecin pour 10 000 habitants en zone rurale, et une espérance de vie de 62 ans, veut concurrencer la Thaïlande ? C'est de l'hubris pure.
Failles environnementales
11. Le reboisement : la promesse impossible
"Reboiser 6 millions d'hectares d'ici 2040 pour atteindre 30% de couverture forestière d'ici 2060"
Rappel : La Côte d'Ivoire a perdu 90% de ses forêts depuis 1960. Tous les programmes de reboisement ont échoué.
Pourquoi cette fois serait différent ?
Le programme propose :
- Des "parcs floristiques communautaires"
- La "traçabilité des produits forestiers"
- Un "nouveau zoo moderne au parc du Banco"
Aucune mesure coercitive : Pas de sanctions sévères pour l'exploitation illégale, pas d'alternative économique crédible pour les paysans qui défrichent, pas de militarisation des parcs (comme au Rwanda qui a réussi).
Planter des arbres ne suffit pas. Si on ne s'attaque pas aux causes (pression agricole, exploitation illégale, feux de brousse, corruption), les arbres plantés seront coupés.
12. Les 150 000 logements sociaux : qui paie ?
"Construction de 150 000 logements sociaux à loyer modéré, dont 130 000 à Abidjan"
Coût estimé : Au minimum 10 millions FCFA par logement (très conservateur) = 1 500 milliards FCFA.
Financement ? Le programme évoque un "fonds de 200 milliards financé par le secteur privé". Mais 200 milliards ne financent que 20 000 logements, pas 150 000.
De plus, pourquoi le secteur privé investirait-il dans des logements sociaux à loyer modéré ? La rentabilité est faible. Sans subventions publiques massives (d'où viennent-elles ?), aucun promoteur ne suivra.
13. La transition écologique : green washing
Le programme multiplie les buzzwords verts :
- "Économie circulaire"
- "Industries vertes"
- "Cités durables"
- "Mobilité durable"
- "Batteries écologiques"
Mais la réalité ivoirienne :
- 90% de déforestation
- Pollution massive (mines, industries, déchets)
- Érosion côtière non maîtrisée
- Urbanisation anarchique
Promettre la "transition écologique" sans s'attaquer aux causes structurelles (corruption permettant l'exploitation illégale, absence de planification urbaine, dépendance aux énergies fossiles) est du green washing électoral.
Failles institutionnelles
14. La réforme électorale : liste à la Prévert
Le programme propose de réformer le système électoral avec :
- Photos couleur sur les cartes
- Encre indélébile
- Caméras de surveillance
- Numérotation claire
- Financement transparent
- Etc.
Tout cela existe déjà ou a été promis dans les réformes précédentes. Pourquoi ça marcherait cette fois ?
Le vrai problème des élections ivoiriennes n'est pas technique mais politique :
- Absence de confiance entre acteurs
- CEI perçue comme partisane
- Justice non indépendante
- Manipulations des listes électorales
Sans résoudre ces blocages politiques, ajouter des caméras ne changera rien.
15. L'élection des responsables universitaires : populisme dangereux
Le programme veut "l'élection des dirigeants universitaires" et "la fin des monopoles privés de gestion".
Problème :
- Les universités ne sont pas des démocraties, ce sont des institutions académiques. Élire les présidents sur des bases politiques plutôt que sur la compétence académique est une recette pour le clientélisme et l'inefficacité.
- "Fin des monopoles privés" : de quoi parle-t-on ? La privatisation de certains services (restauration, hébergement) a justement amélioré la qualité. Revenir à la gestion publique totale signifie retour aux grèves, à la corruption, à l'inefficacité.
16. La "Haute Autorité du Foncier" : une structure de plus
Le programme veut créer une "Haute Autorité du Foncier (HAF-CI)" pour gérer la question foncière.
Problème : La Côte d'Ivoire a déjà :
- L'AFOR (Agence du Foncier Rural)
- La Direction des Domaines
- Les Commissions foncières villageoises
- Les tribunaux fonciers
Ajouter une énième structure ne résoudra rien si les problèmes de fond persistent :
- Corruption dans l'attribution des titres
- Conflits entre propriété coutumière et propriété moderne
- Absence de cadastre complet
- Lenteur judiciaire
Gouverner, ce n'est pas multiplier les structures, c'est faire fonctionner celles qui existent.
Une comparaison avec les autres candidats
Comparons avec les autres programmes :
| Critère | ADO | ADM | JLB | MGC (Simone) |
|---|---|---|---|---|
| Chiffrage | Vague | Aucun | Partiel | Très partiel |
| Réalisme | Optimiste | Utopique | Raisonnable | Idéaliste |
| Approche | Continuité | Révolution | Réforme | Transformation morale |
| Faisabilité | 20% | 5% | 30% | 15% |
| Idéologie | Libérale | Souverainiste | Centriste | Social-démocrate autoritaire |
| Risque majeur | Dispersion | Effondrement | Sous-financement | Autoritarisme moral |
Le programme MGC est plus "social" que les autres, mais il cumule :
- Des ambitions démesurées (industrie à 30% en 5 ans)
- Un financement inexistant
- Une tentation moralisatrice inquiétante ("transformer le citoyen", "14 valeurs")
Un programme généreux mais irréalisable
Le programme de Simone Ehivet Gbagbo souffre de quatre failles rédhibitoires :
1. L'absence de financement crédible
Des centaines de promesses coûteuses (classes, hôpitaux, logements, industries, allocations) sans aucun budget global ni source de financement identifiée.
2. Des objectifs quantitatifs impossibles
- Industrie à 30% du PIB en 5 ans (jamais réalisé nulle part)
- 18 000 classes en 5 ans (capacité de construction inexistante)
- 6 millions d'hectares reboisés (alors que la déforestation continue)
3. La tentation de l'embrigadement idéologique
Les "14 valeurs cardinales", la "transformation du citoyen", les "cellules d'éthique", le "système d'évaluation de la paix" sentent le paternalisme autoritaire.
4. Le retour au protectionnisme économique
La "politique douanière protectrice" et le "made in CI" sont des recettes qui ont échoué partout dans les années 1960-1980.
Le programme MGC est le plus "social" des quatre, avec une vraie attention aux plus vulnérables (femmes, enfants, personnes âgées, handicapés). Mais il pèche par générosité non financée et autoritarisme moral latent.
C'est un programme de gauche généreuse mais économiquement naïf, qui promet monts et merveilles sans expliquer comment payer la facture.