Azraël. Ce nom claque comme une sentence. L'ange de la mort des traditions abrahamiques vient de recevoir un nouveau mandat : pacifier le Burkina Faso. 2 400 hommes. Entraînés au Mali, au Niger, en Russie, en Éthiopie. Une unité d'élite qui promet de changer la donne dans un pays où la moitié du territoire échappe encore au contrôle de l'État.
Question : Peut-on vaincre la terreur en empruntant son propre nom ?
Le Symbolisme Qui Ne Pardonne Pas
Appelons un chat un chat : baptiser une unité militaire "Azraël" n'est pas anodin.
Dans les traditions juive, chrétienne et musulmane, Azraël est celui qui sépare l'âme du corps. Le passeur. Le messager du dernier souffle. Celui qu'on ne négocie pas, qu'on ne supplie pas, qu'on ne corrompt pas.
Le capitaine Ibrahim Traoré et son état-major ont choisi ce nom pour une raison simple : ils veulent que les terroristes le sachent. Quand Azraël arrive, c'est fini. Pas de prisonniers psychologiques. Pas de zone grise.
C'est une déclaration de guerre totale habillée en mythologie.
Mais voilà le paradoxe : les groupes terroristes eux-mêmes se revendiquent d'Allah, invoquent le djihad, promettent le martyre. Ils jouent déjà dans le registre eschatologique. Azraël versus les prétendus soldats de Dieu. Un affrontement de récits autant que de fusils.
Qui gagnera cette guerre des symboles ? Celui qui aura le dernier mort à son actif ou celui qui aura construit la paix la plus durable ?
2 400 Hommes Pour 274 200 Km² De Chaos
Faisons les comptes.
Le Burkina Faso, c'est 274 200 km². Près de la moitié sous emprise terroriste ou zone contestée. Soit environ 137 000 km² où l'État burkinabè n'a qu'un contrôle nominal — ou aucun.
Azraël compte 2 400 soldats. Ajoutez les 15 000 recrues de 2024 et les 5 bataillons d'intervention rapide. Ça fait quoi ? Une force certes renforcée, mais qui doit couvrir un territoire grand comme deux fois la Grèce, avec des frontières poreuses de 3 611 km.
Les maths sont brutales : même l'unité d'élite la plus redoutable du monde ne peut pas être partout à la fois.
Ce que Traoré et son commandement semblent parier, c'est sur la qualité plutôt que la quantité. Azraël ne sera pas une force d'occupation. Elle sera le scalpel, pas le marteau. Les frappes chirurgicales, les décapitations de commandement, les opérations psychologiques qui démoralisent l'ennemi.
Ça peut marcher. Ça a marché ailleurs. Mais ça demande du renseignement impeccable, une logistique sans faille et une endurance stratégique que peu d'armées africaines possèdent.
L'École Du Réel : Mali, Niger, Russie, Éthiopie
Azraël n'a pas été formée à Sandhurst ou à Saint-Cyr. Elle a été forgée au Mali, au Niger, en Russie et en Éthiopie.
Traduisons : ces soldats ont été entraînés par des pays qui connaissent la guerre asymétrique, l'insurrection islamiste, le combat en milieu hostile. Pas la théorie de West Point. La réalité du Sahel et de la Corne de l'Afrique.
Au Mali, ils ont appris comment on se bat quand l'ennemi ne porte pas d'uniforme et que chaque pick-up peut être piégé.
Au Niger, ils ont appris la coordination transfrontalière — ou son absence, ce qui revient souvent au même.
En Russie, ils ont sans doute perfectionné les tactiques de contre-insurrection héritées des guerres tchétchènes, où Moscou a appris à détruire pour pacifier.
En Éthiopie, pays qui a combattu le Tigré, l'Érythrée, et survécu à des décennies d'instabilité, ils ont appris la résilience militaire dans un environnement politique complexe.
Ce cocktail de formations dit une chose : le Burkina Faso ne mise plus sur l'Occident pour sa sécurité. Il cherche ses alliés ailleurs. Dans des pays qui comprennent que gagner une guerre asymétrique ne se fait pas avec des drones Predator et des PowerPoint à Bruxelles.
Traoré : Le Capitaine Qui Voulait Être Général De L'Histoire
Ibrahim Traoré n'est pas un président classique. Il est un capitaine qui a pris le pouvoir par les armes. Deux fois. Septembre 2022, il renverse Damiba. Avant ça, Damiba avait renversé Kaboré. Le Burkina vit au rythme des putschs depuis que le terrorisme a explosé.
Traoré a 36 ans. Il a grandi dans un pays en guerre. Il sait que sa légitimité ne viendra pas des urnes — du moins pas tout de suite. Elle viendra de sa capacité à rendre le Burkina habitable à nouveau.
D'où Azraël. D'où les 15 000 nouvelles recrues. D'où les 5 bataillons d'intervention rapide. D'où cette militarisation express du pays.
Traoré parie tout sur une stratégie : écraser militairement les groupes armés avant qu'ils ne consolident leur contrôle territorial. Reprendre le nord. Sécuriser les routes. Rouvrir les écoles. Permettre aux déplacés de rentrer chez eux.
C'est un pari risqué. Parce que la force seule ne suffit jamais. Il faut aussi de la gouvernance, du développement, de la justice sociale. Sinon, tu tues un terroriste aujourd'hui et tu en recrutes trois demain parmi les jeunes qui n'ont rien à perdre.
Le Sahel, Cimetière Des Ambitions Militaires
Rappelons quelques faits gênants.
Le Mali a eu l'opération Barkhane, 5 000 soldats français, des hélicoptères Tigre, des drones Reaper. Résultat ? Les groupes armés contrôlent plus de territoire aujourd'hui qu'en 2013.
Le Niger, malgré les bases américaines et françaises, a vu le terrorisme se propager jusqu'à menacer la capitale.
Le Nigeria avec sa puissante armée n'a jamais réussi à éliminer Boko Haram, qui sévit depuis 2009.
Qu'est-ce qui fait croire que 2 400 soldats burkinabè, aussi élites soient-ils, réussiront là où des coalitions internationales ont échoué ?
Peut-être rien. Peut-être tout.
Parce que justement, Azraël n'est pas une force étrangère. Elle connaît le terrain. Elle parle les langues. Elle comprend les dynamiques locales. Elle ne rentrera pas chez elle après deux ans de rotation.
Mais soyons lucides : l'avantage du local a ses limites quand l'ennemi est lui aussi local, connaît les mêmes chemins, et bénéficie parfois de la complicité — volontaire ou forcée — des populations.
Le Sahel N'Est Pas Un Jeu Vidéo
Il faut le dire : l'imagerie martiale, les noms mythologiques, les uniformes rutilants, tout ça c'est du storytelling. Ça booste le moral des troupes. Ça impressionne l'opinion publique. Ça envoie un message aux ennemis.
Mais sur le terrain, la guerre reste ce qu'elle a toujours été : sale, chaotique, imprévisible.
Azraël ne changera pas la donne en quelques semaines. Peut-être même pas en quelques années. Parce que le terrorisme au Sahel n'est pas qu'un problème militaire. C'est un problème de gouvernance, de pauvreté, de marginalisation, de trafics, de changement climatique, de frontières coloniales absurdes.
On ne tue pas une idéologie avec des balles. On la rend obsolète en offrant une alternative meilleure.
Et Si Azraël Réussissait ?
Imaginons l'impensable : Azraël et les forces burkinabè parviennent à refouler les groupes terroristes. Le territoire est repris. Les déplacés rentrent. Les routes rouvrent. Les écoles accueillent à nouveau des élèves.
Qu'est-ce que ça change ?
Tout. Et rien.
Tout, parce qu'un pays en paix peut se reconstruire. Les investissements reviennent. L'agriculture redémarre. Les enfants grandissent sans trauma de guerre.
Rien, parce que si les causes profondes du terrorisme ne sont pas traitées, la violence reviendra. Sous une autre forme, avec d'autres acteurs, mais elle reviendra.
Le vrai défi n'est pas de gagner la guerre. C'est de gagner la paix.
