0%
Accueil > Société > Bitume, ponts : comment la Côte d’Ivoire aurait pu — et peut encore — se développer autrement

Bitume, ponts : comment la Côte d’Ivoire aurait pu — et peut encore — se développer autrement

Publié le 14 août 2025Société0 vues
Bitume, ponts : comment la Côte d’Ivoire aurait pu — et peut encore — se développer autrement

Alors que la Côte d’Ivoire affiche depuis plus d'une décennie une transformation spectaculaire de ses infrastructures, un débat s’impose : cette stratégie axée sur le béton, les ponts et les routes est-elle soutenable ? Face à une dette croissante, à la fuite des capitaux et à une croissance peu inclusive, des voix s’élèvent pour proposer un modèle fondé sur l’industrialisation, la décentralisation et la création de richesse locale.

Lire aussi : Angola : La hausse du carburant provoque des violences meurtrières

Une modernisation visible… mais un développement sous perfusion

Depuis 2011, le visage de la Côte d’Ivoire a changé. À Abidjan, les échangeurs s’élèvent, les ponts enjambent les lagunes, et les autoroutes desservent les grands axes nationaux. Mais derrière cette modernisation se cache une réalité plus préoccupante : une dette publique passée de 29 % à plus de 61 % du PIB, des inégalités persistantes et une économie toujours dépendante de l’extérieur.

En 2024, près d’un quart des recettes fiscales était consacré au remboursement de la dette. Et pendant ce temps, les écoles manquent de professeurs, les hôpitaux de médecins, et les jeunes d’opportunités concrètes. La question n’est donc plus seulement « que construit-on ? », mais bien « pour qui ? et à quel prix ? »

Ponts en Côte dIvoire.jpg

Le piège des infrastructures non productives

Prenons l’exemple du pont Henri-Konan-Bédié, emblématique des grands projets d’infrastructure. Coût : 142 milliards FCFA, financés principalement par un partenariat public-privé avec des groupes étrangers. Résultat : un péage élevé, peu accessible à la majorité des Abidjanais, et des bénéfices rapatriés hors du pays.

C’est le même schéma pour de nombreux chantiers : les travaux sont confiés à des entreprises étrangères, les matériaux importés, et peu de savoir-faire local est transmis. Le développement est visible, mais la richesse, elle, s’échappe.

Le riz, symbole d’une dépendance absurde

Riz importé en Côte d'Ivoire.jpg 

En 2023, la Côte d’Ivoire a importé pour plus de 500 milliards de FCFA de riz, alors qu’elle dispose de vastes zones agricoles propices à sa culture. Pendant ce temps, des régions rurales entières survivent avec des moyens archaïques, faute d’investissements de transformation.

Par contraste, le Ghana impose désormais des quotas de transformation locale pour ses filières cacao et ananas. Le Mali, malgré ses défis sécuritaires, a mis en place des systèmes d’irrigation performants pour atteindre l’autosuffisance rizicole dans certaines régions. Des modèles africains, applicables en Côte d’Ivoire, existent bel et bien.

Un pays centralisé, une économie déséquilibrée

Aujourd’hui, plus de 80 % des investissements publics se concentrent à Abidjan. Les régions, elles, restent sous-équipées, peu attractives, et perdent leurs forces vives. Or, un développement équilibré passe par une décentralisation économique ambitieuse, faisant de chaque région un pôle de croissance différencié.

Quelques pistes concrètes :

  • San Pedro : transformation du cacao + tourisme balnéaire intégré

  • Korhogo : hub de l’artisanat et de l’agro-industrie textile

  • Yamoussoukro : tourisme médical (offre de soins spécialisés à moindre coût)

  • Man : écotourisme montagnard et festivals culturels

  • Bouaké : plateforme logistique centrale pour les flux nord-sud

  • Grand-Bassam : vitrine du divertissement et du patrimoine ivoirien

Inspirée par le Maroc ou l’Inde, cette stratégie permettrait d’attirer les investisseurs au-delà d’Abidjan et de créer une dynamique de compétition positive entre régions.

Industrialisation locale : produire et transformer avant d’exporter

Au lieu d’exporter ses matières premières brutes et d’importer ses produits finis, la Côte d’Ivoire peut miser sur une industrialisation légère et décentralisée, notamment dans l’agroalimentaire.

Mesures envisageables :

  • Création de zones agro-industrielles régionales

  • Obligation de transformation locale de 30 à 50 % du cacao, de l’anacarde, du riz

  • Incitations fiscales aux Ivoiriens qui investissent dans la production locale

  • Label "Made in Côte d’Ivoire" pour booster la consommation nationale

En parallèle, l’artisanat, la culture et le divertissement peuvent devenir des piliers économiques, si bien structurés : villes de cinéma, festivals, zones de loisirs, tourisme intérieur…

Industrie en Côte d'Ivoire.jpg 

Des risques à ne pas sous-estimer

Le modèle actuel n’est pas sans danger :

  • Risque de surendettement : comme au Sri Lanka, où la dette extérieure a conduit à la perte de souveraineté sur des ports stratégiques.

  • Captation de la valeur par l’étranger : plus de 3 500 milliards de FCFA ont quitté la Côte d’Ivoire en 2023 via dividendes, intérêts et contrats offshore.

  • Explosion sociale latente : un déséquilibre croissant entre une capitale prospère et un arrière-pays appauvri alimente frustration et instabilité.

Un autre cap est possible, s’il est choisi maintenant

La Côte d’Ivoire dispose d’atouts considérables : une jeunesse dynamique, des ressources agricoles, une position géographique centrale en Afrique de l’Ouest. Elle peut encore faire le choix d’un développement basé non sur la dette, mais sur la création de valeur locale, la souveraineté productive, et l’inclusion territoriale.

Cela suppose :

  • Une réallocation des investissements vers les régions

  • Un soutien massif aux PME locales et coopératives agricoles

  • Une réforme de la fiscalité pour endiguer la fuite des capitaux

  • Une vision claire de l’économie ivoirienne à l’horizon 2040

Du béton au développement, il faut un virage stratégique

Les ponts, les routes et les échangeurs ne doivent pas devenir les symboles d’un développement à crédit sans substance. Ils doivent accompagner une stratégie de transformation réelle de l’économie, au service des Ivoiriens.

Il ne s’agit plus de bâtir pour impressionner, mais de bâtir pour produire, pour employer, pour enrichir durablement le pays. La prochaine décennie sera décisive : bitume ou production ? Dette ou autonomie ? Vitrine ou substance ?

Le choix appartient encore à la Côte d’Ivoire.

Articles similaires

D'autres articles qui pourraient vous intéresser

Ouragan Melissa : la nature déchaîne sa fureur sur la Jamaïque

Ouragan Melissa : la nature déchaîne sa fureur sur la Jamaïque

L'ouragan Melissa restera gravé dans les mémoires comme l'un des phénomènes météorologiques les plus dévastateurs à avoir frappé les Caraïbes.

Prix Nobel de la Paix 2025 : María Corina Machado, la rebelle qui défie un régime depuis les ombres

Prix Nobel de la Paix 2025 : María Corina Machado, la rebelle qui défie un régime depuis les ombres

Le Comité Nobel norvégien a frappé un grand coup en attribuant le prix Nobel de la Paix 2025 à une femme que beaucoup croyaient condamnée au silence.

TikTok devient plus dangereux qu'un char : la Gen Z fait tomber des gouvernements

TikTok devient plus dangereux qu'un char : la Gen Z fait tomber des gouvernements

Aujourd'hui, la Gen Z — ces jeunes nés entre 1997 et 2012 — est en train de réécrire les règles du jeu politique mondial. De Dacca à Nairobi, en passant par ...

Splash Media

Votre source d'actualités et de divertissement pour rester informé sur tous les sujets qui vous passionnent.

Catégories

    Alertes Scoops

    Rejoignez notre canal WhatsApp pour les dernières infos exclusives.

    Rejoindre via WhatsApp

    © 2025 Splash Media. Tous droits réservés.