Dans une décision sans précédent qui bouleverse l'ordre juridique international, le Burkina Faso, le Mali et le Niger ont officialisé leur retrait immédiat de la Cour pénale internationale (CPI) le 22 septembre 2025. Cette rupture collective des trois pays de l'Alliance des États du Sahel (AES) marque un tournant majeur dans leurs relations avec les institutions internationales et pose des questions fondamentales sur l'avenir de la justice pénale internationale en Afrique.
Lire aussi : le Sénégal Lance un Appel à sa Diaspora pour se Financer
Une Annonce Simultanée et Coordonnée
Les trois pays de l'Alliance des États du Sahel (AES) – Burkina Faso, Mali et Niger – ont annoncé, lundi 22 septembre 2025, leur retrait immédiat du Statut de Rome, traité fondateur de la Cour pénale internationale (CPI).
L'annonce a été orchestrée de manière parfaitement synchronisée dans les trois capitales sahéliennes. À Ouagadougou, c'est le ministre de la Communication, Pingdwendé Gilbert Ouédraogo, qui a lu le communiqué officiel au journal télévisé de 20 heures. Cette coordination témoigne de la cohésion renforcée au sein de l'AES et de leur stratégie commune face aux institutions internationales.
Les trois gouvernements militaires, unis au sein de la Confédération de l'AES, affirment avoir pris une décision « souveraine et irrévocable » : rompre avec la juridiction internationale de La Haye.
Les Justifications : Dénonciation d'une "Justice Sélective"
Un "Instrument de Répression Néocoloniale"
La décision des trois pays repose sur une critique sévère du fonctionnement de la CPI. Dans leur déclaration conjointe, les dirigeants estiment que la CPI « s'est transformée en instrument de répression néocoloniale aux mains de l'impérialisme, devenant ainsi l'exemple mondial d'une justice sélective ».
Cette accusation de "justice sélective" constitue le cœur de leur argumentation. Les gouvernements de l'AES reprochent à la CPI de cibler principalement les dirigeants africains tout en épargnant les grandes puissances mondiales, créant ainsi un déséquilibre dans l'application de la justice internationale.
Une Coopération Jugée Décevante
Le Burkina Faso, le Mali et le Niger avaient ratifié le Statut de Rome respectivement en 2004, 2000 et 2002. Depuis, leurs juridictions avaient collaboré avec la CPI, notamment lors de procédures concernant des crimes commis sur leurs territoires.
Cependant, selon les gouvernements actuels, cette longue période de coopération a révélé « l'incapacité » de la Cour à juger équitablement les crimes de guerre, crimes contre l'humanité et crimes de génocide, préférant cibler « certains acteurs » tout en épargnant les grandes puissances.
Une Stratégie Alternative : Vers une Justice Sahélienne
Création d'une Cour Pénale Régionale
Face à ce qu'ils perçoivent comme l'échec de la justice internationale, les pays de l'AES proposent une alternative ambitieuse. En se retirant, les pays de l'AES entendent se doter de « mécanismes endogènes de consolidation de la paix et de la justice » et envisagent la création d'une Cour pénale sahélienne.
Cette initiative s'inscrit dans leur volonté de créer des institutions régionales autonomes, adaptées à leurs spécificités culturelles et juridiques. Ils affirment vouloir continuer à promouvoir les droits humains « en adéquation avec leurs valeurs sociétales » et lutter contre toute impunité.
Aspects Juridiques et Procéduraux
Un Retrait "Immédiat" Controversé
La modalité de ce retrait pose des questions juridiques importantes. En droit international, le retrait d'un État du Statut de Rome ne prend effet qu'un an après notification officielle au secrétaire général de l'ONU. Mais les trois pays ont choisi un effet « immédiat », défiant ainsi la procédure.
Cette décision de contourner les procédures établies illustre la radicalité de leur démarche et leur volonté d'affirmer leur souveraineté face aux contraintes du droit international.
Contexte Géopolitique : Une Stratégie de Souveraineté
Rupture avec l'Ordre International Occidental
Ce geste s'inscrit dans leur stratégie souverainiste et leur rupture assumée avec les institutions occidentales. Ces derniers mois, le Burkina, le Mali et le Niger se sont rapprochés de partenaires alternatifs, en particulier la Russie.
Cette dimension géopolitique est cruciale pour comprendre la décision. Le rapprochement avec la Russie, notamment, prend une résonance particulière quand on sait que le Président, Vladimir Poutine, fait lui-même l'objet d'un mandat d'arrêt de la CPI, depuis le début du conflit en Ukraine.
Timing Stratégique et Accusations
L'annonce a lieu à un moment où les armées de l'AES sont accusées, par des ONG internationales, de graves violations des droits humains dans leur lutte contre les groupes terroristes affiliés à Al-Qaida et à l'État islamique.
Ce timing soulève des interrogations sur les motivations réelles du retrait : s'agit-il d'une démarche de principe ou d'une stratégie préventive face à d'éventuelles poursuites ?
La CPI : Une Institution Déjà Contestée
Critiques Récurrentes et Précédents
Créée en 2002 – année d'entrée en vigueur du Statut de Rome après sa ratification par soixante États –, la Cour pénale internationale est la première juridiction permanente chargée de juger les crimes les plus graves lorsque les États sont défaillants. Elle compte aujourd'hui 125 membres.
Cependant, plusieurs grandes puissances – États-Unis, Russie, Chine, Israël – n'y ont jamais adhéré, ce qui alimente les critiques sur sa représentativité et son efficacité.
Crises de Légitimité Antérieures
La CPI a déjà connu des moments de crise. Accusée à maintes reprises de cibler prioritairement les dirigeants africains, la CPI a déjà connu d'autres crises de légitimité : en 2016, la Gambie, l'Afrique du Sud et le Burundi avaient annoncé leur retrait, avant que les deux premiers ne fassent marche arrière.
Plus récemment, la Hongrie a claqué la porte, en signe de protestation contre le mandat d'arrêt lancé contre Benjamin Netanyahu, montrant que les contestations dépassent le cadre africain.
Implications et Enjeux pour l'Avenir
Impact sur la Justice Internationale
Ce retrait collectif constitue un coup dur pour la CPI et pose des questions fondamentales sur son avenir. La perte simultanée de trois États membres affaiblit la légitimité de l'institution et pourrait encourager d'autres pays à suivre cette voie.
Conséquences pour la Région Sahélienne
Pour les populations des trois pays concernés, les implications sont complexes :
Avantages Potentiels :
- Création d'une justice régionale potentiellement plus adaptée aux contextes locaux
- Affirmation de la souveraineté nationale
- Réduction de l'influence occidentale perçue comme néfaste
Risques Identifiés :
- Possible impunité pour les crimes les plus graves
- Isolement international accru
- Difficultés à attirer des investissements et partenaires respectueux des droits humains
L'AES : Une Stratégie de Rupture Cohérente
Consolidation de l'Alliance
Avec ce départ, les trois pays sahéliens franchissent une nouvelle étape dans leur stratégie de rupture avec l'ordre international issu de l'après-guerre froide. Après avoir quitté la CEDEAO et resserré leurs liens militaires et économiques dans le cadre de l'AES, ils visent désormais à remodeler leurs outils judiciaires à l'échelle régionale.
Cette cohérence stratégique renforce la crédibilité de l'AES comme bloc régional alternatif, même si elle suscite des inquiétudes sur l'isolement croissant de ces pays.
Défis à Venir
La réussite de cette stratégie dépendra de la capacité des trois pays à :
- Créer effectivement une justice régionale crédible
- Maintenir le soutien de leurs populations
- Développer des partenariats alternatifs durables
- Gérer les défis sécuritaires sans compromis sur les droits humains
Réactions Internationales et Perspectives
Réponses Attendues
Cette décision va probablement susciter des réactions diverses :
Union Européenne et Partenaires Occidentaux : Condamnation probable et renforcement des préoccupations sur l'état de droit dans la région
Union Africaine : Position délicate entre solidarité africaine et respect des engagements internationaux
Partenaires Alternatifs (Russie, Chine) : Soutien probable à cette démarche souverainiste
Impact sur la Coopération Internationale
Ce retrait pourrait compliquer :
- Les relations diplomatiques avec les partenaires traditionnels
- L'accès aux financements internationaux conditionnés au respect des standards de gouvernance
- La coopération en matière de sécurité et de lutte antiterroriste
Questions Ouvertes et Défis
Légitimité Démocratique
Une question fondamentale demeure : ces décisions prises par des gouvernements militaires issus de coups d'État reflètent-elles la volonté des populations ? L'absence de consultation démocratique pose des questions sur la légitimité de ces choix stratégiques majeurs.
Efficacité de la Justice Régionale
La création annoncée d'une Cour pénale sahélienne devra prouver son efficacité et son indépendance. Les défis sont considérables :
- Financement autonome
- Recrutement de personnel qualifié
- Maintien de l'indépendance face aux pouvoirs politiques
- Reconnaissance internationale
Un Tournant Historique Qui pourrait inciter d'autres pays africains
Le retrait simultané du Burkina Faso, du Mali et du Niger de la CPI marque un tournant historique dans les relations entre l'Afrique et les institutions de justice internationale. Cette décision, motivée par la dénonciation d'une "justice sélective", s'inscrit dans une stratégie plus large de rupture avec l'ordre international occidental.
Reste à savoir si cette décision renforcera leur souveraineté ou accentuera leur isolement diplomatique, à un moment où les violences terroristes et les accusations de crimes contre les civils continuent de peser lourdement sur les trois régimes militaires.
L'enjeu dépasse largement le cadre sahélien : il s'agit d'un test pour l'avenir de la justice pénale internationale et de sa capacité à maintenir sa légitimité face aux critiques croissantes, particulièrement en Afrique.
Le succès ou l'échec de cette initiative de l'AES aura des répercussions durables sur l'architecture juridique internationale et pourrait inspirer d'autres régions du monde tentées par des démarches similaires. La création effective d'une justice sahélienne crédible constituera le véritable test de cette stratégie audacieuse mais risquée.
Pour les populations concernées, l'espoir est que cette rupture conduise effectivement à une justice plus équitable et adaptée à leurs réalités, sans pour autant sacrifier la protection des droits fondamentaux et la lutte contre l'impunité.