Le Parti des Peuples Africains-Côte d'Ivoire (PPA-CI) a appelé à une marche nationale le 8 novembre 2025 pour dénoncer ce qu'il qualifie de "braquage électoral" suite aux résultats de la présidentielle du 25 octobre. Cette mobilisation intervient dans un contexte politique explosif, après la réélection contestée d'Alassane Ouattara pour un quatrième mandat controversé.
Un scrutin rejeté par l'opposition : les raisons de la colère
Des résultats qui ne passent pas
Le président ivoirien Alassane Ouattara a été réélu avec 89,77 % des voix selon les résultats provisoires de la Commission électorale indépendante, avec un taux de participation de 50,10 %. Mais derrière ces chiffres se cache une réalité plus complexe.
Le Front commun formé par le PPA-CI et le PDCI-RDA a exprimé son indignation face au déroulement du scrutin présidentiel, estimant que le processus électoral n'a pas répondu aux standards démocratiques et évoquant des "graves atteintes à la loi et à la volonté du peuple".
Des candidatures écartées, une opposition exclue
La tension actuelle trouve ses racines dans les décisions du Conseil constitutionnel qui ont bouleversé le paysage électoral. L'ex-président Laurent Gbagbo et l'opposant Tidjane Thiam ont été définitivement exclus de la course à la présidentielle en raison de leur radiation de la liste électorale.
Cette exclusion a été vécue comme une injustice par leurs partisans. Le PPA-CI a dénoncé des "violations flagrantes des droits fondamentaux" de Laurent Gbagbo, rappelant que le Comité des droits de l'homme des Nations Unies avait demandé de laisser l'ancien chef d'État participer au scrutin.
La marche du 8 novembre : que faut-il attendre ?
Un appel à la mobilisation nationale
La marche prévue pour le 8 novembre s'inscrit dans une stratégie de contestation déjà amorcée. Le Front Commun maintient son mot d'ordre de "marches quotidiennes jusqu'au rétablissement de l'ordre constitutionnel".
Pour le PPA-CI et le PDCI-RDA, l'élection présidentielle du 25 octobre constitue un "coup d'État civil" condamné avec la plus grande fermeté, car "rien ne peut justifier un 4ᵉ mandat anticonstitutionnel".
Des précédents qui inquiètent
L'histoire récente des manifestations de l'opposition en Côte d'Ivoire laisse présager des tensions. Lors de la marche du 11 octobre, 237 personnes ont été interpellées, dont des femmes, et les autorités ont maintenu la situation sous contrôle sur toute l'étendue du territoire national.
Le gouvernement avait déjà adopté une ligne dure en interdisant les manifestations. Le 2 octobre, le gouvernement a interdit les meetings et les manifestations contre l'exclusion de candidats de l'opposition.
Analyse des scénarios possibles
Scénario 1 : Une mobilisation massive malgré l'interdiction
Probabilité : Élevée
Le PPA-CI et le PDCI-RDA ont démontré leur capacité à mobiliser leurs militants. Lors de leur marche du 9 août à Yopougon, ils avaient réuni plus de 500 000 personnes selon les organisateurs.
Conséquences potentielles :
- Confrontation avec les forces de l'ordre
- Arrestations massives de manifestants
- Internationalisation de la crise ivoirienne
- Pression accrue sur le régime
Indicateurs à surveiller : Le nombre de personnes dans les rues, la présence des leaders de l'opposition, la réaction des forces de sécurité dans les premières heures.
Scénario 2 : Interdiction et répression préventive
Probabilité : Moyenne à élevée
Fort de son expérience des précédentes manifestations, le gouvernement pourrait opter pour une stratégie préventive plus musclée.
Actions possibles :
- Déploiement massif des forces de sécurité
- Arrestations préventives de leaders de l'opposition
- Coupure d'Internet et des réseaux sociaux
- Interdiction formelle de la manifestation
Conséquences : Radicalisation du discours de l'opposition, critiques internationales, risque d'incidents isolés dans plusieurs villes.
Scénario 3 : Mobilisation faible et essoufflement du mouvement
Probabilité : Faible
Ce scénario verrait une participation décevante en raison de la lassitude, de la peur de la répression ou d'un sentiment d'impuissance.
Facteurs favorables à ce scénario :
- Fatigue militante après plusieurs mobilisations
- Crainte des représailles
- Division au sein de l'opposition
- Sentiment que "rien ne changera"
Conséquences : Affaiblissement symbolique de l'opposition, consolidation du pouvoir en place.
Scénario 4 : Dialogue et négociation de dernière minute
Probabilité : Très faible
Une ouverture au dialogue entre le pouvoir et l'opposition pourrait désamorcer la crise, mais les positions semblent irréconciliables.
Conditions nécessaires :
- Médiation internationale crédible
- Concessions significatives du pouvoir
- Garanties sur les prochaines élections
Obstacles majeurs : Alassane Ouattara est déjà proclamé élu, le calendrier institutionnel est engagé, aucune des parties ne semble prête à reculer.
Scénario 5 : Escalade et violences intercommunautaires
Probabilité : Moyenne (le plus inquiétant)
Dans le pire des cas, la manifestation pourrait dégénérer en affrontements violents, voire raviver les tensions intercommunautaires qui ont marqué l'histoire récente du pays.
Le Front commun dénonce déjà des violences survenues dans certaines localités, notamment à Gagnoa et Tiébissou, avec des pertes en vies humaines et des blessés.
Facteurs de risque :
- Mémoire encore vive de la crise post-électorale de 2010-2011
- Polarisation politique et ethnique
- Présence d'éléments radicaux dans les deux camps
- Accumulation de frustrations
Signaux d'alerte : Incidents dans les bastions de l'opposition, discours incendiaires, circulation d'armes, attaques ciblées.
Les enjeux au-delà de la marche
La crédibilité démocratique de la Côte d'Ivoire
Le taux de participation a accusé une nouvelle baisse consécutive, avec 50,09 % des électeurs s'étant rendus aux urnes contre 53,90 % en 2020. Dans certains bastions de l'opposition comme Gagnoa, le taux n'a atteint que 20,68 %.
Cette désaffection électorale pose la question de la légitimité du processus démocratique ivoirien aux yeux d'une partie significative de la population.
Le regard de la communauté internationale
Le Front commun invite la communauté internationale à accorder une attention particulière à la situation politique en Côte d'Ivoire et à œuvrer pour le respect des droits humains et des principes démocratiques.
La réaction des partenaires internationaux – Union africaine, CEDEAO, Union européenne, Nations Unies – sera déterminante. Une condamnation ferme de la répression pourrait isoler le régime, tandis qu'un silence complice le conforterait dans sa posture.
Les élections législatives à venir
Les élections législatives sont fixées au 27 décembre 2025, avec les candidatures ouvertes du 31 octobre au 12 novembre. La marche du 8 novembre pourrait influencer la participation de l'opposition à ce scrutin.
Si la répression est violente, l'opposition pourrait appeler au boycott total, privant le Parlement de toute représentativité de la contestation. À l'inverse, elle pourrait décider d'investir massivement les législatives pour disposer d'une tribune parlementaire.
Vers quelle issue ?
Trois voies se dessinent pour la Côte d'Ivoire :
1. La normalisation autoritaire : Le pouvoir maintient son cap, réprime les contestations, et impose une lecture unilatérale de la légalité. Risque : radicalisation souterraine et explosion différée.
2. Le pourrissement : La crise s'enlise dans un bras de fer sans issue, avec des manifestations sporadiques, des arrestations, et une paralysie politique. Risque : instabilité chronique et dégradation économique.
3. Le dialogue inclusif : Un processus de médiation crédible aboutit à des garanties démocratiques pour les prochaines échéances. Difficile mais seule issue véritablement stable.
Une journée à hauts risques
La marche du 8 novembre 2025 sera un test crucial pour la Côte d'Ivoire. Elle dira si l'opposition dispose encore de la capacité de mobilisation nécessaire pour peser dans le rapport de force, si le pouvoir accepte l'expression démocratique du désaccord, et si le pays saura éviter le précipice des violences intercommunautaires.
Dans tous les cas, cette journée ne sera qu'une étape dans une crise politique profonde qui interroge les fondements mêmes du contrat social ivoirien. Le Front Commun réclame l'organisation d'un nouveau scrutin "crédible, transparent et conforme à la Constitution", une exigence que le pouvoir rejette catégoriquement.
Entre la rue et les institutions, entre la légalité et la légitimité, la Côte d'Ivoire se trouve à un carrefour dangereux. L'histoire récente du pays rappelle à tous que les crises post-électorales peuvent basculer dans l'horreur. Espérons que la sagesse l'emporte sur la confrontation.