Le 25 octobre 2025, les Ivoiriens étaient appelés aux urnes pour élire leur président. Sans surprise, Alassane Ouattara l'a emporté haut la main. Mais derrière les chiffres officiels se cache une élection qui laisse un goût amer à beaucoup.
Un score à la soviétique : 89,77% et un quatrième mandat
Alassane Ouattara a pulvérisé ses adversaires avec 89,77% des voix dès le premier tour, selon les résultats provisoires proclamés lundi 27 octobre par la Commission électorale indépendante (CEI). Un score qui lui ouvre les portes d'un quatrième mandat présidentiel, alors qu'il est au pouvoir depuis 2011.
Mais ce triomphe arithmétique cache une réalité plus complexe : comment gagner aussi largement quand tous vos vrais adversaires ont été écartés de la course ?
Le grand absent : l'opposition qui comptait vraiment
L'histoire de cette élection s'est en fait écrite bien avant le jour du vote. Le 8 septembre 2025, le Conseil constitutionnel a publié la liste définitive : seulement cinq candidats retenus. Et là, surprise : les poids lourds de l'opposition ne figuraient pas sur la feuille de route.
Laurent Gbagbo, l'ancien président ? Recalé pour des "problèmes de nationalité". Tidjane Thiam, le banquier international qui faisait trembler le camp Ouattara ? Écarté pour une "condamnation pénale". Guillaume Soro, l'ex-Premier ministre et ancien frère d'armes du président ? Hors-jeu. Charles Blé Goudé et Pascal Affi N'Guessan ? Même punition.
Au final, cinq candidats ont pu affronter le président sortant : Jean-Louis Billon (l'entrepreneur), Simone Ehivet Gbagbo (l'ex-Première dame), Ahoua Don Mello (le souverainiste), et Henriette Lagou (la centriste). Autant dire que la compétition était jouée d'avance.
Quand la rue gronde et que le pouvoir dit non
Face à ces exclusions, l'opposition n'est pas restée les bras croisés. Regroupés au sein du Front Commun, les partis écartés ont voulu manifester leur colère.
La réponse du gouvernement a été cinglante : en octobre, interdiction pure et simple de tous les meetings et manifestations du Front commun. Des centaines d'arrestations ont suivi pour "troubles à l'ordre public". Message reçu cinq sur cinq.
Malgré ce climat tendu, la campagne officielle a démarré mi-octobre. Les candidats ont sillonné le pays, mais dans l'ombre du favori incontesté.
Un jour de vote entre calme apparent et violence réelle
Le 25 octobre, près de 9 millions d'électeurs étaient convoqués aux urnes. Près de 44 000 forces de l'ordre ont été déployées pour sécuriser le scrutin. Officiellement, tout s'est "globalement bien passé", selon la formule consacrée.
La réalité est plus contrastée. Le scrutin s'est déroulé dans le calme dans plusieurs régions, mais l'élection présidentielle reste synonyme de tensions dans l'esprit de nombreux Ivoiriens, traumatisés par les scrutins de 2010 (3 000 morts) et 2020 (85 morts).
La moitié des Ivoiriens ont préféré rester chez eux
Le taux de participation a atteint 50,10%, selon les chiffres officiels de la CEI. Une baisse consécutive par rapport aux scrutins précédents.
Mais ce chiffre cache d'énormes disparités. Dans le Nord, région à dominante malinké (l'ethnie d'Ouattara), la participation a été massive, atteignant parfois plus de 90% dans certaines localités comme Ouangolodougou (92,75%) ou Ferkessédougou (94,62%).
À l'inverse, dans le sud et l'ouest du pays, bastions traditionnels de l'opposition, la mobilisation a été catastrophique. À Gagnoa, la participation s'est péniblement élevée à 20%. À Cocody, quartier chic d'Abidjan, moins de 20% des électeurs se sont déplacés.
Ce désintérêt massif dans ces régions est peut-être le vrai message politique de cette élection : l'absence de Gbagbo et Thiam, et leurs appels implicites à ne pas participer, ont largement démobilisé leur électorat.
Une victoire sans saveur pour les perdants
Jean-Louis Billon, arrivé deuxième avec 3,09% des voix, a reconnu sa défaite et adressé ses félicitations au président. Mais il a pointé du doigt "un climat globalement apaisé" tout en s'inquiétant d'un "très faible taux de participation, particulièrement dans certaines régions".
Simone Ehivet Gbagbo, l'ex-Première dame et épouse de Laurent, n'a obtenu que 2,42%. Le souverainiste Ahoua Don Mello a recueilli 1,97% et Henriette Lagou ferme la marche avec 1,15%.
Face à la machine bien huilée du RHDP, le parti présidentiel, ils ont tous fait figure de faire-valoir dans une élection dont l'issue ne faisait aucun doute.
"Pas notre président" : l'opposition crie à la mascarade
Le Front commun, qui rassemble les partis de Gbagbo et Thiam, refuse de reconnaître la légitimité d'Alassane Ouattara. Ils réclament de nouvelles élections et dénoncent un régime autoritaire.
Dans le Nord, le président sortant a fait carton plein, comme à chaque présidentielle, avec des scores parfois supérieurs à 95%. À Ouangolodougou, il a obtenu 98,37%. À Ferkessédougou, 98,13%. Des chiffres qui témoignent d'une mobilisation ethnique et régionale massive.
Et maintenant ?
Le Conseil constitutionnel doit proclamer les résultats définitifs courant novembre. La prestation de serment suivra, ouvrant un quatrième mandat pour Alassane Ouattara, 83 ans, à la tête d'un pays pacifié en surface, mais où les blessures de 2010 et 2020 ne sont pas refermées.
La question reste entière : comment construire une réconciliation nationale durable quand une partie importante de l'opposition estime ne pas avoir eu sa chance de s'exprimer démocratiquement ? Quand des régions entières boycottent le scrutin et que le Front commun refuse toute légitimité au président réélu ?
Les quatre prochaines années diront si ce scrutin controversé était un passage obligé vers plus de stabilité, ou le terreau de futures tensions. En attendant, la Côte d'Ivoire d'Alassane Ouattara, leader mondial de la production de cacao et l'un des rares pays de la région à résister aux putschs et aux attaques jihadistes, poursuit sa route. Mais avec ou sans le consensus de tous ses enfants, la question reste posée.