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Programme JLB 2026-2030 : la modération cache-t-elle l'absence de choix stratégiques ?

Publié le 13 octobre 2025Politique0 vues
Programme JLB 2026-2030 : la modération cache-t-elle l'absence de choix stratégiques ?

Après le programme démesuré d'Alassane Ouattara (ADO) et le radicalisme suicidaire d'Ahoua Don-Mello (ADM), le programme de Jean-Louis Billon "Une Nation Réconciliée, Prospère et Souveraine" se veut une troisième voie : raisonnable, consensuelle, réformiste. À première vue, il détonne par son ton sobre, son diagnostic lucide, et ses ambitions apparemment mesurées. Mais derrière cette respectabilité de façade se cache un programme qui souffre des mêmes maux chroniques que ses concurrents : absence de chiffrage rigoureux, manque de priorisation claire, et surtout, incapacité à faire les choix difficiles qu'exige une véritable transformation nationale.

Décortiquons ce programme qui promet de "gouverner autrement" tout en reproduisant les vieilles recettes.

Failles structurelles

1. Absence totale de chiffrage des coûts

Le programme promet des dizaines d'initiatives majeures sans aucun chiffre de coût :

  • "Investir massivement dans l'éducation, la santé"
  • "Créer 13 millions d'emplois d'ici 2030"
  • "Construire des logements pour enseignants en milieu rural"
  • "Déployer un réseau national de télémédecine"
  • "Centres régionaux de cybersécurité"

Comment financer tout cela ? Le document évoque vaguement des "leviers" mais sans budget global.

2. Des objectifs fiscaux irréalistes

Le programme veut faire passer la pression fiscale de 12,9% à 17% du PIB d'ici 2030, soit +3000 milliards FCFA de recettes supplémentaires par an.

Problème : Augmenter la pression fiscale de 4 points en 5 ans dans un pays où 80% de l'économie est informelle est quasi impossible sans :

  • Formaliser massivement le secteur informel (comment ?)
  • Numériser totalement l'administration fiscale (quel coût ? quel délai ?)
  • Lutter efficacement contre la fraude (comment quand la corruption persiste ?)

Les pays africains qui ont réussi (Rwanda, Maurice) ont mis 15-20 ans pour de tels gains.

3. La création de 13 millions d'emplois : mathématiquement impossible

Le programme affirme qu'il faut "créer ou maintenir près de 13 millions d'emplois d'ici 2030" pour absorber la population active.

Réalité : Créer 13 millions d'emplois décents (pas informels) en 5 ans signifie :

  • 2,6 millions d'emplois par an
  • 7 100 emplois PAR JOUR (weekends inclus)

C'est 5 à 10 fois supérieur aux performances actuelles. Même la Chine, au pic de son industrialisation, n'a jamais atteint de tels rythmes.

4. Le fonds souverain sous-dimensionné

Le programme propose un fonds souverain de 500 milliards FCFA sur 5 ans, soit 100 milliards/an.

Comparaison :

  • Le budget de la CI est de 15 000 milliards FCFA
  • Les investissements nécessaires (éducation, santé, infrastructures) se chiffrent en milliers de milliards

Un fonds de 500 milliards est symbolique, pas structurant.

Failles économiques

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5. Le secteur privé : grand absent du financement

Le programme mise sur les PPP (Partenariats Public-Privé) pour mobiliser 2 500 milliards FCFA.

Mais :

  • Comment attirer ces investissements privés ? Quelles garanties ?
  • Le programme veut simultanément "protéger les entreprises ivoiriennes" et "attirer les investisseurs" : contradiction ?
  • Les PPP sont notoirement complexes et risqués (voir échecs dans santé, routes, énergie ailleurs en Afrique)

6. L'industrialisation décentralisée : vœu pieux

"Développer une industrie nationale décentralisée, créatrice de valeur dans chaque région" sonne bien mais :

Réalité économique : L'industrie se concentre naturellement là où il y a :

  • Main d'œuvre qualifiée (Abidjan)
  • Infrastructures (ports, aéroports, routes)
  • Marchés de consommation
  • Services aux entreprises

Forcer l'industrie à se disperser dans les régions enclavées augmente les coûts, réduit la compétitivité, et fait fuir les investisseurs.

7. La "souveraineté économique" : slogan creux

Le programme parle constamment de "souveraineté" sans jamais définir ce que cela signifie concrètement :

  • Nationaliser les secteurs stratégiques ? (ADM le propose, JLB non)
  • Limiter les IDE ? Imposer le contenu local ?
  • Se passer des financements extérieurs ?

Le programme veut simultanément :

  • "Affirmer la souveraineté"
  • "Attirer les investissements"
  • "S'intégrer aux chaînes de valeur mondiales"

Ces objectifs sont contradictoires sans stratégie claire.

Failles sociales

8. L'éducation : promesses quantitatives sans qualité

Le programme promet :

  • "Une éducation de qualité connectée au numérique"
  • "Encadrer l'accès des enfants aux réseaux sociaux"
  • "Introduire l'anglais dès le primaire"
  • "Transport scolaire inter-village"
  • "Logements pour enseignants ruraux"
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Problème : Le système éducatif actuel a déjà 70% de pauvreté d'apprentissage (les élèves ne maîtrisent pas la lecture/maths après le primaire). Avant d'ajouter des couches (numérique, anglais), il faut d'abord corriger les fondamentaux :

  • Classes surchargées (70+ élèves)
  • Enseignants mal formés
  • Infrastructures vétustes
  • Matériel pédagogique insuffisant

9. La santé : télémédecine avant les bases

"Déployer un réseau national de télémédecine" avant d'avoir :

  • Assez de médecins (1 pour 10 000 habitants en zone rurale)
  • Électricité stable partout
  • Connexion internet fiable
  • Personnel de santé formé

C'est mettre la charrue avant les bœufs. La télémédecine est un luxe pour des systèmes qui ont déjà les bases.

10. La CMU universelle : promesse non financée

Le programme veut "renforcer le système de santé" et implicitement étendre la CMU, mais :

  • La CMU actuelle couvre moins de 50% de la population
  • Elle est chroniquement déficitaire
  • Le coût d'une vraie CMU universelle : plusieurs milliers de milliards FCFA/an

Où est l'argent ?

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Failles de gouvernance

11. Les "Assises de la Nation" : encore un forum de plus

"Organiser les Assises de la Nation comme espace de dialogue pour réconcilier la Nation"

Précédents : La CI a déjà eu :

  • Forum de Réconciliation Nationale
  • Commissions Dialogue, Vérité et Réconciliation (CDVR)
  • Consultations nationales diverses

Résultat : Réconciliation toujours fragile. Un énième forum ne changera rien sans :

  • Justice transitionnelle crédible
  • Réparations effectives aux victimes
  • Réformes institutionnelles concrètes

12. La lutte contre la corruption : déclarations sans mécanismes

"Lutter fermement contre la corruption" mais aucun mécanisme concret :

  • Pas de mention d'une autorité anti-corruption indépendante
  • Pas de protection des lanceurs d'alerte
  • Pas de sanctions exemplaires
  • Juste une "plateforme numérique de transparence"

Réalité : La corruption coûte 1 300 milliards FCFA/an selon le programme lui-même. Une simple plateforme ne résoudra rien.

13. L'audit de la dette : dangereux précédent

"Auditer la dette publique afin d'évaluer sa soutenabilité"

Risque : Les audits de dette en Afrique (Équateur, Zimbabwe) ont souvent mené à :

  • Des tentatives de répudiation
  • Des baisses de notation souveraine
  • L'impossibilité d'emprunter
  • Des crises économiques

Auditer, c'est bien. Mais si le but est de contester la dette, les créanciers fuiront.

14. La décentralisation "effective" : déjà promis 100 fois

"Rendre les collectivités territoriales réellement autonomes"

Réalité : Tous les programmes depuis 2000 promettent la décentralisation. Résultat : Les collectivités restent sous-financées, sans compétences réelles, dépendantes du centre.

Pourquoi cette fois serait différent ?

Failles territoriales

15. Délocaliser les administrations à Yamoussoukro : échec annoncé

"Délocaliser effectivement les administrations publiques à Yamoussoukro pour décongestionner Abidjan"

Précédents :

  • Le Nigéria a délocalisé à Abuja (1991) : Abuja est devenue une ville dortoir de fonctionnaires, Lagos reste le poumon économique
  • La Tanzanie a délocalisé à Dodoma (1996) : Dar es Salaam reste le centre réel

Réalité : Les fonctionnaires délocalisés maintiennent leurs familles à Abidjan (écoles, hôpitaux), font des allers-retours. Coût énorme, efficacité nulle.

16. Le reboisement : promis depuis 30 ans

"Lancer un plan national de reboisement sur cinq ans"

Réalité : La CI promet de reboiser depuis les années 1990. Résultat : 90% des forêts ont disparu, la déforestation continue.

Pourquoi cette fois fonctionnerait ? Aucun mécanisme coercitif, aucune alternative économique pour les paysans qui défrichent.

Failles financières

17. Les leviers de financement : addition qui ne tient pas

Le programme veut mobiliser :

  • +3 000 milliards (fiscalité)
  • +2 500 milliards (PPP)
  • +500 milliards (fonds souverain)
  • +1 000 milliards (diaspora)
  • +500 milliards (finance verte)

Total : 7 500 milliards sur 5 ans, soit 1 500 milliards/an

Mais : Le budget actuel est de 15 000 milliards. Même en mobilisant ces ressources (hypothétiques), cela ne finance pas toutes les promesses (emplois, éducation, santé, infrastructures, etc.)

18. L'épargne diaspora : surestimée

"Mobiliser 1 000 milliards FCFA auprès de la diaspora sur 5 ans"

Réalité :

  • Les transferts annuels de la diaspora ivoirienne : environ 500 milliards FCFA
  • Une partie va à la consommation des familles (incompressible)
  • Convaincre la diaspora d'investir 200 milliards/an dans des "obligations patriotiques" nécessite :
    • Confiance dans le gouvernement (absente)
    • Rendement attractif (d'où viendra l'argent pour payer les intérêts ?)
    • Sécurité juridique (fragile)

Exemple d'échec : Le Sénégal a lancé des obligations diaspora en 2018. Résultat : mobilisation très inférieure aux prévisions.

Failles opérationnelles

19. Le "Comité présidentiel de pilotage" : bureaucratie supplémentaire

Le programme veut créer :

  • Un Comité présidentiel
  • Un Secrétariat d'État de coordination
  • Des unités sectorielles ministérielles
  • Des comités régionaux de pilotage
  • Une plateforme numérique "L'État au Quotidien"

Réalité : Plus de structures = plus de coordination nécessaire = plus de bureaucratie = moins d'efficacité.

Les pays efficaces (Singapour, Rwanda) ont peu de structures mais très performantes.

20. Les indicateurs de performance : qui les mesure ?

"Un tableau de bord national mesurera chaque semestre l'avancement"

Question : Qui produit ces données ? L'INS (Institut National de la Statistique) est sous-financé, les données arrivent avec 2-3 ans de retard.

Sans système statistique fiable, les tableaux de bord seront bidons.

Comparaison avec les autres candidats

Comparons avec les deux autres programmes :

CritèreADOADMJLB
ChiffrageVagueAucunPartiel (leviers financiers)
RéalismeOptimisteUtopiqueRaisonnable mais flou
ApprocheContinuitéRévolutionRéforme
Faisabilité20%5%30%
Risques majeursDispersion, detteEffondrementSous-financement, manque de priorités

JLB est le plus "raisonnable" des trois, mais :

  • Il manque de priorités claires (tout est important)
  • Le financement reste largement hypothétique
  • Les mécanismes opérationnels sont flous

Verdict

Le programme JLB souffre de trois failles majeures :

  1. Manque de priorisation : Promettre 13 millions d'emplois + éducation de qualité + santé universelle + industrialisation + décentralisation + environnement, c'est trop. Il faut choisir 3-5 priorités absolues.
  2. Financement largement hypothétique : Les 7 500 milliards à mobiliser reposent sur des hypothèses optimistes (fiscalité, PPP, diaspora) sans plan B si ça échoue.
  3. Absence de rupture institutionnelle : Le programme promet de "gouverner autrement" mais garde les mêmes structures, les mêmes pratiques. Sans réforme profonde de l'État, les résultats seront les mêmes.

JLB est plus crédible qu'ADO (moins dispersion) et qu'ADM (pas de rupture brutale), mais reste un programme de "bonne gouvernance générique" qui pourrait s'appliquer à n'importe quel pays africain.

Il manque l'audace stratégique : Quel est le pari différenciant de la CI ? Hub technologique ? Puissance agro-industrielle ? Leader du contenu local ?

Sans choix clair, le programme risque de rester un catalogue de bonnes intentions sans transformation réelle.

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