Au début des années 2010, la Côte d’Ivoire sortait d’une crise post‑électorale qui avait fragmenté le pays. Dans son rapport 2011‑2025, le gouvernement revient sur quatorze années d’actions pour reconstruire l’État, moderniser l’économie et améliorer les conditions de vie des populations. Le document brosse un panorama sectoriel – paix et sécurité, gouvernance, capital humain, inclusion sociale, agriculture, économie – et permet d’apprécier la dynamique de transformation engagée depuis 2011.
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Paix, sécurité et justice : vers un « havre de paix »
En 2011, l’appareil sécuritaire ivoirien était désorganisé : ratio gendarme/population de 1 gendarme pour 1 385 habitants et ratio policier/population urbaine de 1 policier pour 1 680 habitants, matériel vétuste et forces démotivées. L’État a conduit une refonte institutionnelle (création des forces spéciales, nouveaux bataillons, autorité de désarmement) et modernisé les ressources humaines. En 2025, le ratio policier est 1/509 et celui des gendarmes 1/1 210, onze écoles et centres de formation fonctionnent, l’indice de sécurité est passé de 6,8 à 1,2, et 89,7 % des plaintes pour violations des droits humains sont traitées. Dans son message du 6 août 2025, le président Alassane Ouattara y voit le signe que la Côte d’Ivoire est devenue un « havre de paix et de stabilité ».
Gouvernance et coopération : administrations modernisées, diplomatie relancée
Le secteur public souffrait de démotivation, de lenteurs administratives et d’un contrôle insuffisant. Le gouvernement a digitalisé la gestion des fonctionnaires (SIGFAE), réformé les concours avec un guichet unique et créé des postes de directeurs des ressources humaines. La parité s’améliore : dans la fonction publique, le rapport femmes/hommes est passé de 43 femmes pour 100 hommes en 2014 à 63 pour 100 en 2023. Au niveau international, la diplomatie ivoirienne s’est réactivée : 82 % de couverture diplomatique en 2024 contre 48 % en 2011 et 128 accords de coopération bilatérale signés. Les indicateurs de gouvernance progressent : l’indice Mo Ibrahim place la Côte d’Ivoire au 16ᵉ rang africain en 2023 (46ᵉ en 2011) et le score CPIA s’améliore de 2,9 à 3,9.
Éducation, santé et emploi : un capital humain renforcé
Éducation et enseignement supérieur
L’effort de construction est inédit : 6 899 nouvelles classes préscolaires, 39 448 classes primaires et 608 collèges/lycées ont été bâtis, portant le parc à 902 établissements. Dans l’enseignement supérieur, le nombre d’universités publiques passe de 3 à 9 et un dixième campus est en construction. Les taux bruts de scolarisation progressent : au primaire, il atteint 109,5 % en 2024 contre 83,8 % en 2011 ; au collège, il atteint 82,27 % avec un quasi‑équilibre filles/garçons. Le recrutement massif d’enseignants (69 071 au primaire et 30 862 au secondaire) améliore l’encadrement.
Santé et protection sociale
Avant 2011, seuls 66 % des Ivoiriens vivaient à moins de 5 km d’un centre de santé et la mortalité maternelle culminait à 614 décès pour 100 000 naissances. Le gouvernement a adopté une loi d’orientation de la santé publique (2019‑677), généralisé la Couverture Maladie Universelle (CMU) avec plus de 20 millions d’enrôlés en juillet 2025 et lancé le financement basé sur la performance dans 2 435 établissements. L’accès financier est facilité par la gratuité des soins pour les femmes enceintes et les enfants, la distribution de 1 258 825 kits d’accouchement et la baisse du prix des poches de sang. Les infrastructures ont été modernisées : 1 139 établissements sanitaires de premier contact et 5 hôpitaux généraux construits, 837 ESPC et 19 CHR réhabilités, 21 scanners et 11 IRM acquis, ainsi qu’un Centre national d’oncologie. En conséquence, la mortalité maternelle tombe à 385 pour 100 000 naissances et la mortalité infanto‑juvénile à 74 ‰ en 2021, tandis que l’espérance de vie progresse à 62,28 ans. Plus de 22 000 agents médicaux et paramédicaux ont été recrutés, portant le ratio de personnel de santé à 11,55 pour 10 000 habitants.
Emploi et insertion professionnelle
L’État a fait de l’emploi des jeunes une priorité. Avant 2011, seuls 294 000 emplois formels étaient recensés et aucun guichet dédié n’existait. Un ministère de l’Emploi des jeunes a été créé, avec une politique nationale de la jeunesse et l’Agence Emploi Jeunes. Les programmes d’insertion ont offert 1 958 646 opportunités d’emploi, générant 1 441 676 emplois formels (dont 1 216 557 dans le secteur privé). Des milliers de jeunes ont bénéficié de stages, formations qualifiantes, financements de projets et permis de conduire. Les dispositifs de service civique (SCAD, SNJ, volontariat) ont touché 55 496 jeunes.
Inclusion sociale, genre et cohésion nationale
La décennie écoulée a été marquée par un arsenal de réformes pour l’égalité des sexes et la protection des vulnérables. La loi de 2019 impose un quota de 30 % de femmes sur les listes électorales, tandis que d’autres textes renforcent l’égalité dans le mariage et répriment les violences faites aux femmes. La proportion de femmes au gouvernement passe de 7,69 % en 2011 à 18,18 % en 2024 et les bénéficiaires du Fonds d’appui aux femmes de Côte d’Ivoire (FAFCI) dépassent 420 000 contre 177 000 initialement. Des programmes d’alphabétisation et d’autonomisation forment environ 61 000 femmes et jeunes filles par an, et 33 bureaux d’accueil genre ont été installés dans les commissariats.
La protection de l’enfance s’est renforcée : lois contre la traite et le travail des enfants, création de comités de protection dans les villages (de 700 en 2018 à 3 313 en 2024) et multiplication des établissements de prise en charge. Les filets sociaux ont évolué, avec 457 000 ménages bénéficiaires de transferts monétaires et 155,8 milliards FCFA redistribués entre 2017 et 2025. La politique de cohésion nationale s’est appuyée sur des commissions de réconciliation (CDVR, CONARIV), le Programme national de cohésion sociale et un mécanisme d’alerte précoce alimenté par plus de 13 000 moniteurs. Près de 294 000 réfugiés et 730 000 déplacés internes ont pu rentrer chez eux. La pauvreté a reculé, l’Indice national de solidarité et de cohésion sociale passant de 52,12 % en 2021 à 57,95 % en 2023.
Agriculture et développement rural : vers la souveraineté alimentaire
L’agriculture, premier employeur du pays, a connu une mutation. La production vivrière a doublé (de 11,5 millions à 23,6 millions de tonnes), celle de riz blanchi triplé à 1,55 million de tonnes, et les productions de maïs, manioc, igname et banane plantain ont bondi. Pour soutenir la production et réduire les pertes post‑récolte, l’État a aménagé 29 743 km de pistes rurales, construit 397 magasins de stockage et distribué des tricycles et camions aux producteurs. L’accès au foncier a été sécurisé grâce à la création de l’Agence Foncière Rurale et à la délivrance de plus de 70 000 certificats fonciers.
Les cultures d’exportation se sont également envolées. La production de cacao est passée de 1,51 million de tonnes en 2011 à 1,89 million en 2024 (avec un pic record de 2,36 millions en 2022), tandis que le prix garanti aux producteurs franchissait pour la première fois 1 800 FCFA/kg. La Côte d’Ivoire est devenue premier producteur mondial d’anacarde (944 673 t en 2024) et le taux de transformation locale a bondi de 2,4 % à 36,4 %. La production d’hévéa a été multipliée par sept (238 717 t à 1,69 million t) et celle de coton a doublé. Pour améliorer les revenus ruraux, 29 743 km de routes ont été aménagés, des unités de transformation installées et des services sociaux (pompes à eau, classes, centres de santé et lignes électriques) construits dans les zones agricoles.
Économie et finances : une croissance retrouvée et mieux gérée
Sous l’effet de la paix retrouvée et des réformes, la Côte d’Ivoire a enregistré l’une des croissances les plus dynamiques d’Afrique. Le PIB est passé de 18 112 milliards FCFA en 2011 à 57 577 milliards FCFA en 2025, soit une multiplication par plus de trois. Le PIB par habitant a plus que doublé (de 816 994 FCFA à 1 771 925 FCFA), tandis que la croissance réelle est passée de ‑6,6 % en 2011 à 6,5 % en 2025. Les recettes fiscales ont été multipliées par près de six (de 840 milliards à 4 880 milliards FCFA), l’investissement étranger direct a grimpé de 135 milliards à 2 242 milliards FCFA et le taux de bancarisation a progressé de 19,5 % à 31,2 %. L’inflation est maîtrisée autour de 3 %.
Ces performances reposent sur une meilleure planification : adoption des Plans Nationaux de Développement successifs, étude prospective « Côte d’Ivoire 2040 », création de l’Agence Nationale de la Statistique (ANStat) et mise en place de lois encadrant l’évaluation des politiques publiques. La production statistique a été renforcée (rebasage des comptes nationaux, recensements de 2014 et 2021) et le centre d’excellence en statistique ENSEA s’est imposé comme un pôle régional. Sur le plan international, la Côte d’Ivoire a réformé son code des investissements, signé onze accords de promotion et de protection des investissements (contre neuf entre 1960 et 2010) et amélioré son intégration régionale.
Le pari de l’émergence : où en est la Côte d’Ivoire ?
En 2010, le Rassemblement des Républicains (RDR) affichait l’ambition de faire de la Côte d’Ivoire un pays émergent. Alassane Ouattara en avait fait une de ses promesses électorales et, dès la fin 2011, il lançait un programme massif de réhabilitation des infrastructures routières.
À la lecture du bilan 2011‑2025, cette ambition semble s’être rapprochée. La croissance est repartie avec un PIB triplé et un revenu par habitant plus que doublé entre 2011 et 2025, tandis que les investissements publics et privés se sont multipliés et que les finances publiques se sont assainies. Les réformes de gouvernance, la modernisation des infrastructures, l’amélioration de l’éducation et de la santé et l’essor de l’agriculture posent les bases d’une économie plus diversifiée et compétitive.
Cependant, le pays n’a pas encore franchi le seuil d’un revenu intermédiaire supérieur. Le Plan national de développement 2021‑2025 visait à accélérer la transformation et à accéder à ce rang d’ici 2030, mais en 2024, seulement 77 % des investissements prévus étaient réalisé. L’indice de développement humain demeure modéré (0,582), l’espérance de vie plafonne à 62 ans et 37,5 % de la population vivait encore sous le seuil de pauvreté en 2021. L’économie reste largement informelle et de fortes disparités sociales et géographiques persistent.
Ainsi, la Côte d’Ivoire s’inscrit dans une dynamique d’émergence plutôt que d’avoir totalement atteint ce statut. La poursuite des réformes, la diversification économique et la réduction des inégalités seront déterminantes pour franchir ce cap au cours de la prochaine décennie.